J’étais un angelot crasseux pépiant de joie dans ma décharge municipale.
Je noircissais mes petites ailes en toute insouciance, me roulant avec délices dans des montagnes de déchets multiformes et multicolores qui, à mes yeux de petit garçon émerveillé, brillaient comme autant de trésors. L’ivresse de la
découverte éblouissait ma jeunesse en liberté. Ces détritus à l’infini représentaient
pour moi des promesses de fête au quotidien, des fleurs industrielles semées
dans mon bac à sable aussi vaste que le monde.
J’étais libre, j’étais innocent, je
voyais les choses sans malice. Mes mains étaient sales mais mon coeur était
beau. J’avais les cheveux noirs et l’âme blanche. Je trouvais des perles souillées, des vases brisés, des sacs crevés, et pourtant mes rêves restaient purs.
Et puis elles sont arrivées.
De gentilles bonnes soeurs se croyant investies d’une mission divine. Elles
ont chaussé mes pieds nus de bohémien, échangé mes haillons en folie contre un
uniforme austère puis m’ont emmené dans leur prison. Le petit moineau que
j’étais s’est retrouvé dans la cage des enfants de riches. On m’a appris à lire
et écrire, à penser droit, à me vêtir de soie et à dire bonjour.
Aujourd’hui je suis instruit, fortuné, bien habillé, éduqué, respecté, envié, rangé.
Suis-je heureux pour autant ?
Je me souviens avec nostalgie de mes explorations fantastiques, de mes plongées enchanteresses au fond des poubelles, semblables à des voyages fabuleux dans les abysses de notre société... Comment oublier ces bains féériques dans l'océan des ordures à l’âge béni de toutes les légèretés ? J’avais quatre, six, huit ans, peu importe, depuis ma
naissance je riais, volais, me réjouissais de chaque trouvaille que je
partageais avec mes amis les rats, respirant avec une jouissance toute
enfantine l’air étrange et exotique émanant de mon dépotoir.
En m‘extirpant de force de ma fange natale, ces natures bien intentionnées, hautement avisées et s'estimant généreuses, ont fait de moi,
ex-petit manouche débordant de vie, un pauvre type qui s’ennuie à mourir dans
son existence confortable, fade, propre, grise, anonyme.
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