Emile le simplet du village avec son air benêt de sacristain-né et son imposante stature était tout destiné pour recevoir de son curé la charge officieuse d'homme à tout faire. Plus exactement de sonneur de l'église, domaine dans lequel il devait bientôt exceller.
Fier de ses 130 kilos, il avait le don comme nul autre de faire chanter le métal. Sa surcharge pondérale faisait merveille pour occuper cette fonction hautement spécialisée. Pouls du bourg, c'est du clocher que se répandaient les informations essentielles : funérailles, baptêmes, mariages, fêtes... Unique distraction locale, les sonnailles représentaient la voix du Ciel.
Emile avait découvert que de son habileté à battre l'airain dépendait la force avec laquelle impressionner les ouailles. Tristes ou joyeuses, il savait avec subtilité annoncer les nouvelles, influencer les esprits dans un sens ou dans l'autre, accélérer ou apaiser leurs battements. Pas si sot qu'on le croyait, doué d'un pouvoir hors du commun, il avait très vite appris à nuancer les clameurs du clocheton afin de mieux faire vibrer les âmes.
Par exemple à l'heure du glas il était capable à sa guise d'alléger les coeurs en peine ou au contraire donner un air sinistre aux mariages, rendre poétiques, comiques ou bien infiniment solennels les dimanches matins, et tout ça rien qu'en modulant le son de ses instruments, à sa façon... Malicieusement il choisissait de remplir le lieu saint en y entraînant les jeunes pour la messe ou bien d'en limiter l'accès aux seuls vieillards. Il lui suffisait pour cela de manier d'une certaine façon ses "hochets hurlants" pour attirer les fidèles ou les décourager. Au grand émoi du prêtre qui, comme les autres, ne comprenait rien à ces mystères, incapable de faire le rapprochement entre ces événements et l'écho du beffroi. Ce qui amusait beaucoup Emile.
De sonnerie en sonnerie il s'initiait à cet art jusque là inconnu, dont lui seul d'ailleurs détenait le secret. Ainsi Emile agissait sur l'inconscient des habitants, manipulant à son gré son petit monde, parvenant même à toucher les personnalités les plus averties, les êtres les plus insensibles, les notables les plus instruits, changeant leur état intérieur, dirigeant leurs humeurs, provoquant chez eux joie ou mélancolie, sérénité ou excitation. Alors que tous, curés comme paysans, considéraient Emile comme un imbécile, lui les dominait parce qu'il maîtrisait leurs rouages intimes, à leur insu.
Emile, pour idiot qu'il passait aux yeux de tous, n'en était pas moins passé maître dans l'art de faire frémir le fond des êtres, par claironnements interposés. Il était en quelque sorte le vrai chef de la localité, lui qui très savamment pouvait régler la fine mécanique des sentiments.
Emile vécu longtemps à la tête de son orchestre de "diablotins à cordes".
A ses funérailles, toute la paroisse se réunit autour de sa tombe. Le temps était calme, pas une brise. Au moment de mettre en terre l'humble cercueil du bedeau, les cloches se mirent à tinter légèrement sous un mystérieux coup de vent.
9 commentaires:
Voilà ma lecture. Elle est différente de la votre mais c'est que que ce texte m'inspire.
Donnez une once de pouvoir à un sot et ce sera le début de la tyrannie. (pas tout à fait dans les termes exacts et je ne sais plus qui en est l'auteur)
Manipulation ! Voilà la faculté du bedeau en question.
Mais, se demandait-il, fort de son ascendant sur la médiumnité des cloches en fonte, comme sur celles des “ pauvres cloches” qui réagissaient à sa guise, si la totalité de ses ouailles ne se laissaient pas mener par le bout du nez que pour leur bon plaisir ?
“Seule distraction du village” dit l'auteur ...
Les autres, les sots qui se croyaient intelligents en prenaient pour leur grade c'est sûr.
De quoi rétablir l'équilibre.
Quand au ciel, qui avait accordé au simplet ce pouvoir du langage pas forcément utilisé à bon escient, le jour de la mort du bedeau, il rendit aux cloches leurs droits. Elles lui firent alors un fameux pied de nez !
Enfin, ce n'est pas très grave. L'essentiel c'est qu'Emile eut une jolie existence malgré ce qu'elle lui laissait présager. Et que les pendules soient remises à l'heure et que tout le monde y trouve son compte.
Liliana,
Le simplet est effectivement un être pur à la base. Et d'une intelligence hors norme puisqu'elle n'entre pas dans les critères de l'entendement et n'est pas dans le politiquement correct. Peut être agit-il par jeu, peut être aussi qu'il "s'arrange toujours pour qu'elles sonnent de façon à ce qu'on les entendent de toutes les directions."(ce qui serait logique dans sa fonction de bedeau)
Mais le mot "manipuler" me gêne.
C'est lui je pense qui me fait avoir cette lecture.
On peut se jouer, mais pas manipuler. Jamais.
Sinon, j'aime bien votre idée du salut des cloches. Nous aurions la réponse à nos hypothèses si nous en entendions le son...
Et sinon, merci pour la dernière précision. Rassurez-vous je n'en doute pas.
C'est donc pour cela que j'avoue tout ce que vous voulez pour pouvoir rester libre de mes lectures.
Liliana,
Tu as raison, Émile est le reflet supérieur de mon Quasimodo.
Ma lumière dans les étoiles se penche glorieusement devant le soleil levant de RAphael.
Victor Hugo
Etrange, à 11 minutes 40 il y a une scène que j'avais écrite (scène des cloches du bedeau)...
http://www.dailymotion.com/video/xj8uv_le-chomeur-de-clochemerle-partie-4_shortfilms
Or c'est la seconde fois dans ma vie que je visionne ce film (je viens de le visionner pour la seconde fois ce soir par hasard et en tombant sur la scène en question -à 11 MINUTES 40 sur la vidéo-, j'ai bien sûr immédiatement songé à mon présent texte), aussi je me demande si cette histoire de cloches que j'ai écrite ne serait pas une réminiscence inconsciente du premier visionnage... J'aurais écrit mon histoire à travers le souvenir inconscient de cette scène du film ?
Ou n'est-ce qu'un pur hasard ?
En fait je ne sais pas vraiment car j'ai écrit "LES CLOCHES DU BEDEAU" il y a plusieurs années, alors que je connais ce film uniquement sur INTERNET. Or je ne visionne les films sur INTERNET que depuis 2005, date d'arrivée de YOUTUBE et de DAILYMOTION.
Ce qui signifie que mon inspiration aurait pris racine dans ce film de manière inconsciente ? Mais il me semble pourtant avoir visionné ce film pour la première fois il y a moins de deux ans. Or mon texte date de plus de deux ans.
Pourtant je me souviens avoir rédigé cette histoire de "pure inspiration", c'est à dire sans aucune influence extérieure. J'aimerais que cela soit juste le hasard car sinon cela signifierait que ce texte ne serait pas izarrien.
Pourtant je reste persuadé que je ne connaissais pas ce film quand j'ai écrit "LES CLOCHES DU BEDEAU". En revoyant cette scène que j'avais oubliée et qui ressemble tellement à mon texte, je suis très perplexe.
Raphaël Zacharie de IZARRA
Ces films, d'une autre et très belle époque cinématographique, sont passés sur le petit écran de nombreuses fois du temps ou la télé était ce qu'elle n'est pas devenue aujourd'hui.
Il est probable qu'enfant, vous ayez sans vraiment le regarder, saisi des bribes et les avez enfouies au plus profond de vous même. Je ne suis pas psychologue mais c'est une explication logique.
Quoiqu'il en soit, votre texte est Izarrien. Ce sont vos mots, votre sensibilité et la magie qui s'en dégage qui le rende vôtre.
Ce qui est étonnant, c'est que vous ayez l'impression d'avoir revisionné ce film “par hasard”, ces jours-ci, à cette période ou nous discutons, justement, de votre texte.
Vous connaissez mon opinion, je ne crois pas au hasard. Par contre, à la subtilité de l'esprit, oui, bien sûr! Excellent le lien sur la vidéo.
J'ajoute que j'ai eu plaisir à revoir cet extrait et trouve que vous avez beaucoup de chance d'avoir, dans cette Olympe qui entoure la matière aurifère de votre cervelle, des sources d'inspirations illustrées par des géants comme l'était Fernandel. Oui, excellent!
filledemnemosyne,
Reste la première autre explication, plus ou moins acceptable selon l'angle à travers lequel on voir la chose, mais fort possible : le pur hasard.
Qui n'est pas tellement le hasard d'ailleurs car à sensibilité égale, on imagine les mêmes choses me semble-t-il. L'auteur de ce film (ou scénario) avec Fernandel était certainement proche de la sensibilité izarrienne, ou inversement, je suis proche de la sensibilité de l'auteur de cette scène. Nul besoin de se connaître pour se ressembler, avoir les mêmes idées ou chanter à l'unisson.
Je n'ai réellement aucun souvenir d'avoir visionné cette scène dans mon enfance. Et je crois très peu aux explications psychanalytiques.
Raphaël Zacharie de IZARRA
Donc, n'ayant jamais vu ce film avant d'avoir écrit ce texte, vous ne pouvez dire que votre inspiration y a puisé. Ce n'est pas de l'inconscient.
Une nouvelle fois, je ne fais pas de psychologie. C'est de la pure réflexion sans prétention aucune.
Je ne vois pas en quoi le fait que seul le fruit du hasard redonnerait à votre production son “Izarrienneté”. Il est Izarrien. Un point c'est tout.
Mille, dix milles personnes reprendraient le thème qu'elles le tourneraient différemment.
Izarrien, à ce que j'en pense, ce n'est pas seulement une réflexion, un courant d'idée, une fulgurance de l'esprit.
C'est un assemblage fin et précis. Un savant mécanisme d'horlogerie. Une toile de maitre. Une œuvre magistrale.
Chaque texte, mini-œuvre en elle même, apporte sa pierre à l'édifice.
Abordant tant les sujets d'actualité que vous attachant au caractère de l'humain,il est logique que vous retrouviez sur votre route d'autres artistes (ou non artistes d'ailleurs) qui auraient eu une même “idée” que vous. Qui partageraient la même opinion. Et le hasard n'a rien à voir la dedans, puisqu'il n'y a pas de hasard. Juste un guide qui vous donne les directions. Les grandes lignes.
La nature de ce guide, je ne la connais pas. Chacun choisit le sien je crois. Ce peut être le bedeau, une main amie ou notre Dieu. Mais ce n'est pas le hasard.
Vous le soulignez, dans la réponse que vous m'accordez et là est sûrement le “fin mot de l'histoire”. Dans la réflexion que vous vous faites et que vous partagez avec vos lecteurs comme avec les visionneurs de l'extrait en question c''est une question de ressemblance mais dans une idée, dans le fond !
Ne soyez pas perplexe. Votre forme est unique.
Je vais m'exprimer un peu sur "le hasard".
Je ne dis pas que ce soit forcément l'endroit pour le faire mais puisque vous l'évoquez, je ne suis pas tout à fait hors sujet.
Croire au hasard signifierait pour moi que l'on avance sans but. Sans raison. Parce que croire au hasard voudrait dire que tout est hasard.
C'est pour moi, tout ou rien.
Sinon ce n'est pas logique.
Les événements ne peuvent être fruits du hasard et provoqués.
S'ils sont fruits du hasard, les provoqués en découlent donc deviennent eux même fruits de ce hasard.
Alors, si tout est hasard, nous ne sommes rien et voués à rien.
Nous ne sommes que des "résultats".
Notre existence n'a aucun sens et de par là même notre mort non plus.
Nous ne servons à rien puisque les conséquences de notre existence deviennent "hasardeuses". A quoi sert de transmettre la vie ?
Et,à propos de vie, sur terre, comment aurait elle pu se régénérer lors de toutes les extinctions, de toutes les agressions?
Par Hasard? Impensable!
Pour moi, le seul "objet" qui puisse ressembler au hasard, c'est le miracle. Mais là encore, il est à la base provoqué.
Par Dieu ou par l'Amour.
Je ne dis pas que tout est écrit.
Mais je pense qu'il faut savoir suivre notre guide.
Certains l'appelleront ange gardien, voie, étoile, destin, intuition, volonté, instinct...
Matériel ou immatériel. De chair ou d'esprit. En soi ou hors soi.
Le tout est de le reconnaitre.
filledemnemosyne,
Vaste débat auquel il me serait difficile de participer en toute honnêteté car soulevant des thèmes majeurs universels et pointus mais dont je pressens, tout comme vous, la glorieuse réponse de manière parfaitement intuitive.
Même si par ailleurs je demeure prudemment sceptique et critique à l'égard des réponses faciles dictées par l'intuition pure.
Il y a quand même certaines intuitions profondes qui ne laissent nulle place au doute. Par exemple quand je lève les yeux vers le firmament, écoute un chant sacré, contemple les beautés infimes de quelque insecte ou magistrales d'un paysage (même apparemment banal car rien n'est vraiement banal dans la nature), alors de manière fulgurante et définitive, JE SAIS.
Raphaël Zacharie de IZARRA
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