Lettre envoyée à des employeurs consciencieusement choisis dans les petites annonces du "Figaro".
Messieurs,
Je suis jeune, vaillant, entièrement disponible, totalement dénué d'ambition professionnelle, plein de mauvaise volonté quant au boulot, indifférent au culte du turbin et ne souhaite à aucun prix évoluer. Puisqu'on dit qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis, j'accepte très volontiers d'être de ces définitifs cornichons.
Je ne cherche pas plaire à mes semblables au nom d'une cause qui m'afflige : le travail. Je me présente à vous comme un hérétique de l'ANPE, un damné de l'embauche, un excommunié du marché de l'ennui, de la fatigue et de la sueur.
J'utilise mon temps précieux à ne rien faire.
Aussi ne suis-je pas intéressé de l'offrir à votre boîte, même contre une reconnaissance sociale, même contre l'estime de mes contemporains, même contre des congés payés, même contre l'assurance de recevoir une retraite de soixante à quatre-vingt-dix-neuf ans.
Je ne désire pas me faire accepter dans le cercle enviable des privilégiés qui se lèvent tôt le matin afin de gagner leur pain de supérette, leurs vacances d'été, leur droit de porter cravate, enfin leur bonheur et dignité d'employés. Encore moins apprendre à afficher des sourires calibrés huit heures par jour. Je n'ai pas envie d'être dynamique pour produire vos richesses. Ni pour mon pays, ni pour mes voisins, ni pour moi-même. Je n'ai nulle soif de réussite vous dis-je, absolument aucune ardeur dans ce but.
Je n'ai jamais aspiré à m'élever selon les critères de ce siècle. Je ne rêve pas du tout d'accéder à la dignité du salarié, pas plus à celle du patron.
Je préfère me promener en forêt, faire du vélo, contempler les cumulonimbus, embrasser ma dulcinée...
Bref, je tiens à rester à la place qui est la mienne, là où je me sens le mieux : nulle part sur l'échiquier de la croissance, hors de tous enjeux économiques, loin des statistiques, ignoré des registres, invisible dans vos comptes.
Je n'ai pas honte de mon inertie, ni de profiter du labeur des autres pour vivre (en effet, il faut bien que ces personnes s'activent à ma place pour que je puisse en être là dans ma vie), ni de l'exemple que je donne à la jeunesse désoeuvrée. Je ne regrette pas d'être improductif, une charge pour la société.
Je veux continuer mon chemin d'exclusion, être considéré comme perdu pour l'appareil économique. Me faire parfaitement oublier de la population active. Ne compter que pour du beurre dans le système. Je tiens à n'être rien du tout aux yeux des employeurs. Il n'y a pas le moindre espoir pour moi, me voilà bien irrécupérable. Une plaie pour le monde laborieux. La peste de l'emploi. Le fléau de la rentabilité.
Je ne suis pas un instrument de production, pas une bête à performances, pas un rouage humain de la machine industrielle. Je ne suis pas sur Terre pour servir les industries. Je suis ici gratuitement, parmi vous tel un miracle, pour la joie, en échange de rien. Juste pour être heureux, sans avoir de compte à rendre à une entreprise. Je suis sur cette planète par l'effet d'une grâce infinie. Aussi légèrement que le papillon.
Je suis libre, inutile, et mes ailes ne sont pas à vendre.
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