Au Père Lachaise parmi les spectres il la retrouve, coeur battant, front vaillant. Une fièvre impie l'habite en cette saison de mai. Trouble exquis de l'âme en proie à ses plus chers tourments... Dans l'oeil de la précieuse, le dandy ne voit que l'écho de sa propre flamme. Leur rencontre est un feu paradoxal où se mêlent cause poétique et folie charnelle. Le temps est aux amours : les lits des inhumés sont légers et la brise vernale fait chanter la pierre. Un parfum de mélancolie embaume l'air, les allées, la nue. Les feuilles de quelques grands arbres frémissent çà et là autour des sépulcres. Il la salue, froid, conventionnel, hautain. Elle lui répond avec la même retenue. Un chat frôle la jambe de l'élégante. Petit cri de surprise...
Leurs souffles viennent de se croiser.
La voie est ouverte. Nulle ombre aux alentours... Le couple s'étend sur la première tombe venue dissimulée aux indiscrets par quelque angle avantageux. Il dénude la poitrine de la galante, fébrile. Allongée à demi dévêtue sur la surface rugueuse, elle sent sa caresse âpre contre sa peau. L'alcôve improvisée est couverte de mousse séchée. L'humus sur la dalle séculaire enivre l'amant qui, emporté par ces effluves, se perd dans ses hauteurs fantasques alors que sa maîtresse se pâme sous le mâle assaut. Les baisers sont aussi suaves que des morsures, les respirations sont précipitées. L'homme plein de fougue joue avec les seins de l'offerte, les aspirent avec l'avidité gloutonne d'un affamé, tandis que ses doigts s'immiscent vers les profondeurs de la chair femelle ébranlée.
Bientôt la gorge de l'amante est bâillonnée par un sceptre vivant qui la déchire délicieusement. Des va-et-vient lents et longs embrasent son palais, et sous le regard ardent de cette femme qui lui rend le plus doux des hommages, l'esthète se laisse aller à de voluptueux égarements, couchés tous deux sur le tombeau. L'objet de leur mutuel émoi s'attarde, rougit, gonfle, durcit de plus en plus sous la langue avivée jusqu'à ce que dans un éclat de fauve le libertin lâche prise. Alors l'haleine de l'amoureuse devenue soudain visqueuse exhale les senteurs âcres et sucrées de la vie triomphante qui se répand, déborde, se perd dans une coulée suprême et affolante... L'écume au bord des lèvres, elle vient l'embrasser. Leurs corps haletants s'enlacent dans une étreinte appesantie, exquisément prolongée par la semence qui passe de bouche en bouche.
Un peu de cette liqueur vive s'égare sur le marbre funèbre, comme si la sève vitale voulait se réconcilier avec la pourriture gisant dans la fosse.
Dans l'ultime instant de lucidité précédant l'extase, l'attention du sybarite s'est posée par hasard sur la stèle de la sépulture, témoin de leurs ébats. Furtivement, il a pu lire le nom du défunt, avant de succomber au vertige :
"Comte Théophile Duplaisir, 1759-1830."
VOIR LA VIDEO :
https://youtu.be/T3BGqSMGxms
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