L'abbé Bichart était un saint homme. La quarantaine ascétique, les traits fins, sensible, cultivé, possédant d'authentiques qualité humaines et spirituelles, très pieux, il comblait bien au-delà de leurs attentes ses ouailles comme ses supérieurs.
A cela près qu'il était affligé d'un défaut insolite arrivé quelques années après son ordination, une étrange tare de langage, une sorte de tic de la pensée, une bizarrerie de l'esprit : le pauvre homme ne pouvait s'empêcher de jurer comme un diable à la moindre occasion et où qu'il fût, et surtout "d'enjoliver" ses phrases anodines ou solennelles avec les propos les plus orduriers qui soient.
Ca n'était pas de simples jurons qui sortaient de sa bouche sensée n'émettre que les plus chastes onctions, non. On avait affaire là à des canailleries sans nom propres à faire rougir des régiments entiers de charretiers affectés aux écuries de l'infanterie ! Sans doute les effets insoupçonnés d'une chasteté mal contenue, le résultat fâcheux de plusieurs années d'abstinence que l'on devine odieuses, funestes pour le prêtre que sa fonction condamne traditionnellement à une solitude cruelle... Soulignons que l'abbé possédait une nature portée sur les plaisirs plutôt subtils, esthétiques de la sensualité. Aussi ces obscénités langagières contrastaient-elles abominablement avec l'aspect efféminé, fragile, fluet de son auteur, ainsi qu'avec ses manières délicates, distinguées, et même aristocratiques. L'abbé Bichart, en effet, était de haute extraction.
"Où qu'il fût et à la moindre occasion", répétons-le, l'abbé proférait d'incroyables crapuleries. Le pire endroit qu'on puisse songer en ce cas étant bien entendu l'église, de dimanche en dimanche celle-ci avait finit par se vider... Ne restait qu'un noyau de fidèles pour écouter les grossièretés du prêtre. Ceux et celles qui venaient et restaient jusqu'au bout étaient animés, on s'en doute, par une curiosité déplacée. Ou par quelque vice peu avouable. Quelques tendrons émotifs, mais aussi une ou deux vieilles filles "bien comme il faut" s'attardaient volontiers de temps à autre le dimanche à l'église pour entendre les sermons de l'abbé ponctués d'indicibles gravelures...
- "Mes chers frères et soeurs, remercions notre Seigneur tout puissant pour sa bonté infinie envers l'Humanité toute entière...", disait-il du haut de sa chaire sur un ton solennel empreint de piété, puis sans terminer sa phrase et prenant un ton plus crapuleux il ajoutait aussitôt, s'adressant aux vieilles filles agenouillées et aux demoiselles émotives qui frémissaient déjà : "... et accessoirement remercions-le de ne m'avoir pas doté de deux ou trois paires de couilles-à-vaches en supplément et de plusieurs braquemarts-à-empistonner afin que j'enfilasse par l'entonnoir à purin deux ou trois papes impuissants à la fois et une gueuse-à-couilles en sus ! Ha ! Nom d'un curé pédéraste de mes deux, que celle parmi vous qui veut que je lui envache le treux-à-enfiler monte sur ma chaire, et je l'encouillaserai publiquement jusque dans le fond de sa panse par là-où-que-passe-la-pisse-de-fumelle après l'avoir bourrenvachée truiesquement par le boyeux-de-son-cul ! Sacré nom de mes deux de cureton de nom d'un treux-du-cul d'une escalope de coche à couillasses de sacré nom des couilles du Diable ! Je m'enfilerais bien par le treux de derrière ou de devant quelque donzelle tombée en rut à la vue de mes grosses couilles de vache, et même un pasteur catholique vérolé ou pourquoi pas un pédé d'archevêque embordelisé jusqu'à la moelle ! Je vous montrerai ce que vaut la couille d'un cureton moi, sacré nom d'un boyeux-de-fumelle de vache à baise de mes deux ! Enfin, reprenant un ton plus digne, comme si de rien n'était son sermon se poursuivait de la manière la plus normale qui soit, jusqu'à la prochaine crise : "Mes bien chers frères et soeurs, Dieu tout puissant dans son infinie bonté disais-je donc..." Etc.
Tels étaient les propos avec lesquels l'abbé Bichart pétrifiait son auditoire (tout ouïe, ne le cachons pas). L'effet évidemment était extraordinaire.
L'écho de ses écarts de langage involontaires parvint jusqu'au plus hautes sphères du clergé, à Rome. Il fut un temps placé d'office dans une station thermale, en repos forcé. Finalement il put reprendre bientôt ses fonctions avec la bénédiction de son évêque qui lui confia la charge ingrate de remettre dans le droit chemin toute une congrégation de bonnes soeurs dévoyées...
Après cela, allez percer les mystères de l'institution cléricale !
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