Je suis né avec des membres débiles occasionnant des gestes maladroits. Ma
bouche tordue déforme mes mots de manière grotesque et même parfois
comique.
Handicapé et donc nécessairement regardé comme un objet de curiosité, de
répulsion, de pitié, il a bien fallu que je me maintienne debout parmi les
hommes, même si mes béquilles ont fini par prendre plus de place que mes os
difformes.
C'est avec ce fardeau de prothèses et de misère que j'ai affronté la vie.
Aidé par un immense courage qui ne m'a servi à rien puisqu'aujourd'hui, à
quarante ans, je me retrouve seul.
Avec mon ombre pour unique compagnie.
Parti perdant à la naissance, je suis arrivé perdant quarante ans
après.
Les traits ingrats de mon visage n'ont guère engagé à faire oublier la
monstruosité de mon corps contrefait, si bien que pour toute femme je me
présente comme une promesse de malheur, non de bonheur.
Aux yeux de l'amour j'incarne la disgrâce, la tristesse, le naufrage.
Mes luttes et mes espoirs sont restés vains. Condamné à l'infirmité, du
même coup je suis également condamné au rejet, à la solitude.
Ne soyez pas hypocrites, vous qui prétendez que c'est faux : vous seriez
les premiers à fuir devant une "si belle opportunité" que moi, comme vous aimez
à dire avec vos termes qui mensongèrement embellissent la réalité !
Mais je n'en veux à personne : je comprends votre peu d'attirance pour mon
aspect rebutant. Moi-même je préfère la beauté à la hideur et la force à la
faiblesse, tout comme vous.
Je n'espère d'ailleurs conquérir qu'une femme rayonnante de splendeur et de
santé, même si je sais que je cours ici après une chimère... Moi non plus je ne
rêve pas de m'unir à une chair misérable, de voir à travers l'autre mon reflet
pitoyable...
Mon sort est donc scellé : je demeurerai un pestiféré jusqu'à mon dernier
souffle, enchaîné à mon anatomie en loque tel un Quasimodo sans joie, sans
histoire, sans même la consolation d'une seule vision amoureuse...
Tout en moi semble avoir été conçu pour que mon infortune soit totale,
définitive, sans remède.
Mon destin est sinistre.
Ces mots que je vous adresse vous déplairont certes, car ils heurtent la
sensibilité de ce siècle, ils sont incompatibles avec vos belles idées
humanistes toutes théoriques. Mais ils sont vrais.
Je suis une anomalie de ce monde, un ratage de la Création que la société
se sent obligée de protéger.
Peut-être que finalement ma véritable utilité ici-bas est de vous dire tout
cela sans fard, sans haine et sans regret.
Vous m'assistez pour tout, sauf pour l'essentiel car mon âme est
seule.
Seule et oubliée.
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