Récemment à un endroit stratégique du marché des Jacobins au Mans j’ai aperçu une tendeuse de sébile, une vendeuse de bonbons à la sauvette plus exactement (mendicité dissimulée), que je reconnaissais vaguement, l'ayant déjà croisée une ou deux fois.
Je rentrais chez moi avec mon sac rempli de bonnes choses et je n’avais pas du tout envie de faire l’aumône à cette importune ni de me sentir culpabilisé par ses regards cherchant mon apitoiement.
Donc je passe devant elle en faisant mine de l’ignorer. Pour mon malheur voilà qu’elle m’aborde avec grande familiarité. Et, me prenant par la manche, commence à m’expliquer qu’elle a besoin, évidemment, d’argent pour manger, qu’elle travaille dans un cirque mais que les temps sont durs et je ne sais plus quoi d’autre exactement, etc., etc.
Elle semblait ivre, me parlait tout près du visage, était visiblement mal éduquée, ne savait pas s’exprimer dans un français correct et en dépit de ses mots faussement polis, comme récités, en réalité il suintait de sa voix, de sa gestuelle, de sa figure, un total irrespect d’autrui.
D’un regard hautain et d’un air agacé -mais cependant courtois- et de quelques mots implacables j’essaye hâtivement de lui faire comprendre que je ne suis pas dupe de son discours maladroit de bonimenteuse intellectuellement faible, culturellement primaire, que ses sucreries douteuses ne m’intéressent nullement et qu’il existe des services sociaux pour les indigentes de son espèce.
Et là, je me mets à l’examiner. Un bref instant. Et je vois à qui j’ai affaire.
Un sous-humain.
Une pauvre ombre sans nul attrait, une silhouette insignifiante, une chose désagréable par tous ses aspects : vestimentaires, physionomiques, psychologiques, esthétiques, moraux.
Toute sa personne transpirait le vice, le déshonneur, la bassesse.
La totalité de son être était repoussant. A travers sa manière d’être, de se montrer, de mendier, elle éloignait naturellement d’elle tout homme honnête. Elle puait la corruption.
Par sa façon de chercher à convaincre les passants, elle les faisait fuir. Et ne paraissait aucunement en avoir conscience. Par sottise, ignorance, crasse intérieure réelle ou supposée... Comment savoir ?
Ce que je percevais en la voyant était-il juste ou pas ? Avais-je le droit de la considérer avec autant de mépris ? Devais-je me fier à ses haïssables apparences ? Peut-être me trompais-je... Je n’en sais rien. Mais c’est ainsi que je ressentais cette femme.
Par ses dehors, par ce qui émanait de ses traits grossiers, de son corps négligé, de son maintien de bohémienne, de son allure générale, cette gueuse était vile, spirituellement sale, humainement détestable, socialement crapuleuse, moralement misérable.
Cette affreuse gitane ne voulait que de la finance, rien d’autre. Des sous pour satisfaire je ne sais quel immonde désir de canaille. Des piècettes pour j’ignore quel minable dessein à portée de son bec de pie voleuse, menteuse et médisante !
Bref, après l’avoir brièvement scrutée de mon oeil chirurgical, je m’en suis allé, heureux de la voir abandonner la partie plus tôt que je ne l’aurais cru, ce qui m'a conforté dans l’idée que cette désastreuse marchande de mauvaises friandises était bien une vipère en quête de proie facile et non une véritable pauvresse à secourir.
En repensant à cette pitoyable rencontre je me demande encore si, finalement, cette main tendue méritait ma charité ou bien mon jet de salive.
Comment connaître la vérité ? La quêteuse était si laide, si abjecte, si bête... On devinait dans cette âme tant de pensées honteuses et maudites, instinctivement on lui prêtait maints actes infâmes... Ai-je fait erreur ? Ai-je mal agi ? Etait-elle l'envoyée du diable ou un vulgaire et inoffensif oiseau blessé ? Une authentique charogne, une malfaisante manouche, une maléfique petite vieille ? Ou une piteuse et innocente victime de l’égoïsme et de l’indifférence ? Avais-je raison ? Avais-je tort ?
Dieu seul le sait.
Moi je n'ai vu dans cette face qu'une mendigote déplaisante, répugnante, ignoble...
Et en me remémorant ce faciès implorant, ces doigts crasseux posés sur mon bras, ces prières pleines de maladresse, j’ai toujours la même envie d’envoyer sur le front de cette mendiante le plus arrogant de mes crachats.