Farouchement homophobe, ardent militant anti-avortement, promoteur de la
vertu universelle, phallocrate primaire décomplexé, j’ai la république en
horreur, mets le gauchisme à ma droite et ajoute du Ciel à tous mes plats.
Ca c’est mon terrestre aspect, rugueux, âpre, furieux et follement
temporel.
Epris des hauteurs, cela ne m’empêche nullement d’avoir mes faiblesses. Et
mes chutes sont d’autant plus vertigineuses que ma couronne est éclatante. Plus
les âmes sont grandes, plus elles risquent de tomber de haut, ce qui est
exactement mon cas. Je suis hautement responsable de tous mes écarts de
conduite, de pensées, de paroles, tandis que l’homme du commun l’est beaucoup
moins. Lui a droit à l’indulgence humaine et divine, moi pas : mon éveil
spirituel, ma position privilégiée entre la Terre des illusions et le Soleil de
la vérité m’oblige à des devoirs supérieurs, chose dont j’ai parfaitement
et permanente conscience.
L’exceptionnelle exigence est la norme naturellement imposée aux astres de
mon espèce.
Mes faux-pas sont les fruits non pas de mon ignorance, de ma bêtise ou de
mes maladresses mais bien au contraire de mes choix royalement assumés, de ma
pleine volonté de descendre parfois dans la boue, de mon intelligence mise au
service des bassesses de mon incarnation, ce qui est d’autant plus grave.
Mais c’est également cette immense clarté en moi, ce libre-arbitre aux
pôles extrêmes qui me donnent des ailes aussi vastes. Ce qui fait la gloire de
mes ascensions, c’est ma liberté de plonger dans l’abîme. Sans cette liberté
d’aller où je veux en totale conscience, mes montées n’auraient aucune valeur.
C’est parce que j’ai le choix entre l’or et la misère que mes profondeurs sont
sans mesure, quand d’autres moins éveillés que moi -donc moins exposés à la
flamme spirituelle- sont bornés entre la paille et le foin. Leur éclairage
est bref et leur pain quotidien est leur unique horizon. Ma lumière est
illimitée et les galaxies sont mon ordinaire mesure.
Eux risquent peu de se brûler au feu des étoiles, d’éprouver le vertige de
l’infini, de s’asseoir au bord de l’Univers, leurs culpabilités ou mérites étant
moindres. Certes, mais ils s’élèvent peu.
Mon stade d’évolution intérieur est si avancé que la distance entre eux et
moi leur est intolérable. Mon flambeau humilie leur chandelle et pour eux cet
éblouissement est comme une agression. Une injure à leurs oeillères, un outrage
à leur petitesse, une offense à leurs déficiences. Et ils appellent “haine”,
“misanthropie” ou “intolérance” ce qui chez moi n’est que grandeurs,
pénétration, esprit.
Eux sont trompés par les vagues du siècle qui les bercent et les endorment,
quand j’embrasse l’océan entier de mon regard d’albatros, loin de leurs
minuscules tempêtes, hors de leur portée de fourmis.
Je ne cache pas les corruptions de mon être, les indécences de ma sensualité, les ruines de mes jours sombres, les mesquineries de mon caractère et le
ridicule de mon égocentrisme, et si je me vante d’une chose, ce n’est pas de mes
péchés mais de ma sincérité à les reconnaître.
Oui j’ai moi aussi mes côtés misérables car étant fait de chair,
d’imperfections, de tares, de peurs et de vanités, je suis moi aussi un humain
comme un autre. Mais ce qui me distingue radicalement des pervers, des
irresponsables, des menteurs, des rêveurs, c’est que je ne glorifie
pas mes sacrilèges, je n’appelle pas “noir” ce qui est blanc, "jour" ce qui est ténèbres", je ne confonds pas
la rose avec le fumier, je ne cherche pas à changer la fange en onde pure juste
en travestissant le langage...
Mes frères, mes pieds pataugent dans vos mêmes noirceurs, mais mes sommets sont
enneigés.
Bref, je suis comme vous tous : sujet aux tentations, lâchetés et
médiocrités de l’existence.