Dans les profondeurs de Clinchamp, il pleut comme partout ailleurs.
Sauf que là-bas, rien n'est jamais pareil que le reste du monde.
Lorsque la pluie tombe dans ce royaume mi-fabuleux mi-désenchanté, terne et
doré, aussi boueux que merveilleux, alors le quotidien se fracasse pour laisser
place à des pierres rares, à des têtes précieuses, à des ombres lumineuses
!
C'est là que vient le miracle : le jour le plus ordinaire brille comme un
astre, le crépuscule devient aube radieuse et le soir s'installe sous de grises
trombes d'eau mêlées de vagues splendeurs...
Les hommes en ce sommet vespéral s'apaisent, s'allègent, s'affinent et
se transforment en rêves vivants qui entrent lentement dans la nuit comme s'ils
étaient des roches douées de flammes floues. Ou des papillons nocturnes aux
ailes de plomb et aux idées flamboyantes. Ou bien des oiseaux porteurs de feux
nouveaux prenant leur essor vers de glorieux naufrages célestes.
C'est l'heure où des lueurs volent dans les nues, où des esprits planent
au-dessus des toits, où des visages apparaissent au fond des fossés. Le moment
où des regards s'allument derrière les bosquets, où des lèvres sèment des mots
troubles dans les herbes folles. Le point crucial où des fenêtres s'ouvrent
depuis le sol et que des étincelles de chair en sortent...
L'occasion fatidique où le réel rencontre l'impalpable.
Et moi, après minuit, je vois une silhouette s'approcher. Et je parle de la vie et de la mort, de la fortune et de la misère, de l'amour et de la solitude avec je ne sais quel hibou silencieux vêtu de mystère, et puis je m'éloigne de cette apparition de plume ou de brume, je ne sais pas, haletant, perplexe, exalté.
Et heureux, peut-être...
En cet endroit de la Haute-Marne décidément plein de surprises et paradoxalement centre de toutes les platitudes, au détour d'un chemin pluvieux on y côtoie l'impossible. Dans ce village peuplé de gens aussi lourds que ce siècle de basses certitudes, entre ses terres secrètes et ses gouffres familiers, ses ténèbres
éclatantes et son ciel hermétique, ses bois banals et son horizon noir, parfois
on y croise des diamants inquiétants et fascinants au coeur de la tourmente, mais également de séduisantes grimaces issues de nuages aux songes étranges.
Avec ses airs champêtres enlisés dans l'oubli et son azur chargé de fumier, cet univers de mares et de vaches est éblouissant en vérité, car l'averse lui confère des allures de mythologie de clocher, d'olympe de cambrousse, d'empyrée du sabot.
En ce lieu pas comme les autres, l'onde y féconde l'obscurité pour y faire naître la lumière.
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