Autrefois à Clinchamp vivait un aimable benêt au coeur tendre et aux vues
simples.
Seuls comptaient pour lui la douceur des sentiments, l'éclat des fleurs et
les sourires de ses semblables.
Il ne percevait ni le mal du monde ni la laideur des choses. A ses yeux ses
jours sans malice passés sur Terre lui apparaissaient invariablement beaux et
les hommes qui l'entouraient universellement bons.
Au-dessus de sa tête le ciel était fatalement peuplé d'hôtes ailés. Et les
nuages représentaient nécessairement les plumes des anges. De cela il ne doutait
pas !
Le simplet de ce village, que tous considéraient comme un éternel enfant,
parlait de choses inconcevables, racontait ses visions merveilleuses, tentait de
convaincre les incrédules de la réalité de ses voyages intérieurs
extraordinaires, de la hauteur de ses rêves palpables, de la qualité de ses
rencontres avec des êtres quasi célestes.
Bien sûr, on l'écoutait avec amusement, indifférence, voire ennui.
Nul n'accordait, au fond de ce trou de la Haute-Marne, la moindre
importance aux propos de cet innocent. On le voyait arpenter les chemins,
parcourir la plaine, s'égarer dans les bois tout en se concertant avec les
herbes folles, les vaches, les arbres et les oiseaux. Et même quelques
épouvantails.
Il allait et venait du matin au soir à travers la campagne, toujours
joyeux, ahuri, infatigable, en quête de vent, de chimère, d'infini peut-être,
entraîné par sa douce folie.
Plus personne ne prêtait attention à ses divagations, il faisait partie du
paysage.
Il vécut ainsi très longtemps dans la commune qu'il ne quitta d'ailleurs
jamais. Tout au long de sa riche existence, il connut d'incroyables aventures au
sein de ce clocher perdu, même si aucun habitant ne crut une fois à ses
affirmations.
A sa mort on ne fit guère de bruit autour de sa dépouille. Ce fut une
journée comme les autres, là-bas à Clinchamp : mortellement léthargique.
Sauf que ce que nul ne sut et n'aurait osé croire, c'est que cet esprit
hors-sol qui semblait générer tant de sornettes depuis près d'un siècle (il
mourut presque centenaire), incarna en réalité dans l'ignorance générale toute
la légèreté, la lumière et l'intelligence de ceux qui sur cette planète ont
préféré voir l'immensité des petites choses à portée d'âme plutôt que le néant
des vacuités s'étalant sous les sabots des lourdauds !
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