La tentation de l'amère folie était trop vive : je décidai de passer une
nuit à la belle étoile à Clinchamp.
Après avoir pris un bain d'air vespéral bien brumeux et frissonné
d'inquiétude dès la fin du crépuscule (crainte non exempte de joie trouble),
j'ai disposé ma couche à l'orée d'un bois. Avec vue sur de terreuses étendues,
promesses d'ombres passantes, assurance de songes peuplés de vagues épouvantails
et d'autres spectres champêtres mal identifiés...
Le ciel ce soir-là était un vrai tombeau. Eclairé toutefois de quelques
lueurs majeures, à travers deux ou trois trous éphémères dans les nuages. La
nue dense m'adressant ces maigres signes de vie me parut propice. Avant de se
refermer sur un noir sépulcral. Je tombai alors dans une torpeur pleine de
fièvre.
La longue traversée pouvait commencer.
Le voyage s'annonçait brutal et l'aube semblait si loin... Allais-je
trouver le graal du campeur, la paix du dormeur, l'ennemi du noctambule et la
délivrance de l'insomniaque : le sommeil ?
Ici, entre champs et feuillus, vent et ténèbres, au fond de cette campagne
obscure, dans ce trou d'ennui, à l'autre bout de mes jours sereins, à la fin de
tous les chemins, à la dernière marche du monde, qu'étais-je venu chercher de si
impérieux ?
Le rêve.
Pas l'onirique non. Mais l'autre. Le rare, le vrai, le doux : le poétique.
Celui qui est dur comme la pierre, salé comme le sang, plus rouge que le
soleil couchant. Celui qui brûle et qui tranche, qui caresse et qui fait mal,
qui pétrifie et qui brise, qui glace et qui fait fondre.
Même s'il était froid, même s'il était humide, même s'il était effrayant,
mortel ou douloureux, je le voulais. Tombé des étoiles ou remonté du sol,
enlaidi de fleurs ou hérissé d'épines, aussi âcre que l'humus où je devais
dormir ou bien sucré jusqu'à l'écoeurement, je le désirais ici à mes pieds, au
bord de cette terre de Clinchamp, au coeur de cet univers désolé et sublime, au
centre de mes plus étranges méditations... Dans l'océan de moi-même, dans ma
galaxie intérieure, au creux de mon âme.
Et dans cette attente sacrée, dans cet espoir inhumain, dans ces flammes de
mon être en proie à tous les tremblements, j'ai vu des choses fabuleuses,
inexprimables, mystérieuses...
J'avais toujours su confusément que cet endroit de néant apparent recelait
des richesses considérables. Je me trouvais là au seuil d'une porte s'ouvrant
sur un ailleurs brillant, menant vers des hauteurs insoupçonnées.
Etendu sur mon lit de camp, le regard plongé dans le gouffre de ce paysage,
j'ai vu défiler toutes les heures de la Création. Cette vérité céleste si bien
résumée à travers les éléments bruts, simples et rudes qui m'entouraient, à
proximité de ce clocher dérisoire de Haute-Marne...
Je n'ai jamais vu arriver l'aurore. Je me suis endormi sans m'en rendre
compte entre deux fulgurances, assommé d'ivresse, rassasié de beauté, pour ne me
réveiller que juste avant midi.
Sous un azur parsemé de cumulus en robes d'anges.
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