Je me trouvais de passage dans la campagne de Clinchamp tandis que midi approchait. Repérant assez vite un endroit idéal, proche d'un bois, un peu en retrait de la route, je décidai de m'y arrêter pour me restaurer et me délasser. Dans le lointain, je pouvais apercevoir le bourg entouré de grands espaces vides formant une immensité d'ombre, de silence et de mélancolie.
Méditatif face à cette vision surprenante, je disposai les couverts et aliments sur l'herbe pour ce pique-nique impromptu. Manifestement, je me sentais atteint par l'ambiance particulière se dégageant de cet horizon... Un étrange phénomène venait de se passer en moi.
Où venais-je donc d'atterrir en ce lieu de hasard qui, au tout premier abord, ne m'avait pas particulièrement troublé ?
Je pressentis que ce jour ne serait pas comme un autre...
Essayant de ne pas me laisser envahir par ce mystérieux sentiment, je commençai à manger. Mais à mesure que je prenais ma collation, une sorte de malaise se répandait autour de moi . Le regard dirigé vers le village et ses alentours, j'avais l'impression d'entrer progressivement dans le décor pour en faire partie intégrante.
Le pain que je mastiquais semblait être le prolongement des labours, ou leur reflet gustatif. En effet, cela avait un goût de glèbe, une saveur de terreau, des senteurs d'humus. Et la salade que j'avalais me projetait dans un univers aux effluves bruts, sauvages, agrestes, similaires aux parfums des tiges folles, des épines et vagues bourgeons des bosquets qui s'étendaient devant moi. A la vérité, je voyageais plus dans des profondeurs telluriques, minérale, végétales que je ne me sustentais... Curieuse sensation de ne plus m'appartenir, de me laisser emporter par des ailes de granit.
Bientôt j'ingurgitais d'autres nourritures que les simples éléments palpables de la nature. Des mets plus lourds encore, aux arômes d'indigeste vérité et de mortuaire beauté.
Imperceptiblement, je passai du déjeuner comestible au festin de caveau.
Au milieu du menu, je ne croquais plus dans un cornichon mais engloutissais la langueur du ciel. Je ne mordais plus dans une tomate mais engouffrais toute l'amertume du paysage. Je n'ingérais plus une patate mais dévorais les pierres figées de déprime.
Au fil des bouchées, je devenais le poids et la brume, la boue et la rusticité, l'effroi et l'épaisseur de ce pays d'impasse et de crépuscule.
Le dessert s'annonçait vertigineux de noirceur...
Pourtant je voulus le savourer jusqu'à la dernière miette.
En fait, gagné par l'atmosphère dense de la plaine et pris dans l'élan de ce triste théâtre champêtre, j'en avais apprécié l'âpre évangile.
Je m'étais nourri des pesanteurs, ténèbres et troubles lumières de Clinchamp.
Un terne banquet transmué en une pure poésie.
VOIR LA VIDEO :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire