A Clinchamp le pissenlit est rare, triste, maigre, et semble n'être dans
cette île déserte que pour refléter le plomb du ciel et faire d'inutiles signes
aux oiseaux morts qui y logent.
Cette fleur rustique apparaît même comme un intrus dans ce décor de
fermeture de tous les chemins, au terminus de l'Univers...
Cependant j'aime sa présence dérisoire, au coeur de cette immensité sans
nom, sans espoir, sans avenir, peuplée de gens simples et sans histoire qui
n'ont nullement conscience de leur mortel paradis.
Un monde parfaitement dénué d'attraits enchanteurs, immensément loin de
notre siècle de sons amplifiés et de couleurs artificielles certes, mais plein
de poésie sombre. Un mets amer et mélancolique pour les esthètes aux ailes
noires de mon espèce.
Ou pour les rats des champs de haut vol qui me ressemblent.
Bref, dans ce jardin de lourdeur, telle une nécropole verdoyante, je
respire l'air pur d'un authentique bonheur fait d'âpreté et de
dépouillement.
Les menus et humbles visages jaunes qui parsèment cette campagne sans
relief sont des images inattendues. Des petites flammes sorties d'une terre d'inertie où jamais
rien d'autre de notable ne se passe. Ces modestes apparitions issues du sol,
quasi invisibles, incarnent la misère apparente des minuscules vies végétales
généralement ignorées du bipède civilisé. Leur insignifiance fait leur prix à
mes yeux. Je les regarde comme des miracles nés du néant.
Sous le poids de ces lieux que maudit le citadin, méprise le sophistiqué, raille le parisien, elles resplendissent à travers mon regard sélectif avec d'autant plus de finesse et de gloire, ainsi que des étoiles mornes dans une nuit de brume.
Pour toutes ces raisons, à la fraîche saison de mars, entre rêve et folie, je pars à la
rencontre de ces précieuses perles d'or perdues dans les limbes de Clinchamp
pour m'enivrer de leur pâle beauté.
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