Décidément, il s'en passe des choses dans ce trou prétendu sans intérêt
qu'est Clinchamp !
Rien normalement ne devrait advenir de notable là-bas, si ce n'est
l'écoulement silencieux et anodin des jours incolores qui s'allument sans faire
d'histoire pour s'éteindre aussitôt dans l'oubli de lendemains tout aussi
flasques. Les légumes enracinés en cette terre perdue n'en ont pas fini de
bouillir dans leurs sabots...
Les habitants, en effet, un tantinet bourrus, n'ont pas l'air d'avoir
parfaitement conscience de l'incroyable trésor que recèlent les herbes folles
s'agitant sous leur ciel. Qu'ils le croient ou non, leur humble commune est le
siège de tous les trafics féériques entre azur et bosquets, commerces
lutinesques des sous-bois, intrigues vagabondesques des chemins et autres
affaires oniriques de haute volée.
Là, sous leurs pieds de balourds, se trament de subtiles réalités de
premier ordre. Trop occupés à regarder leurs télévisions, si chèrement attachés
à leurs pesanteurs, infiniment éloignés de ces hauteurs qui dépassent leur
quotidien d'épiciers et de gardes-vaches, ils ne soupçonnent rien de ces
phénomènes qui enflamment secrètement les nuits de leur village.
Evidemment, ce que vous allez lire ne sont pas des événements rapportés par
les journaux. Rien d'officiel ici, certes. Cela dit, je vous assure que tout est
très sérieusement issu des messes basses entendues sous les dernières clartés
vespérales. Des vérités incontestables colportées par les murmures du
crépuscule, les clameurs des nuages, les rumeurs des fossés et les paroles du
vent.
Autant dire, des petites musiques du soir à ne pas mettre sous tous les
chapeaux... Et surtout pas entre ces oreilles insensibilisées, sempiternellement
chaussées d'écouteurs de smartphones, et qui n'entendent plus rien des échos de
la vie fantasmagorique... Non, ces sérénades-là s'adressent prioritairement aux
initiés qui ne portent nulle oeillère. Ni la moindre prothèse technologique
interférant sur leur ciboulot.
Figurez-vous qu'aux alentours de minuit et jusqu'à l'aube, dans les champs
et à l'orée de la sylve, des rats, des mulots, des chouettes et des lièvres se
concertent sous les étoiles. Et y font naître des feux comme des rêves, des
lueurs qui ressemblent à des mirages nocturnes, de pâles lumières ainsi que des
chandelles. Echappés tous vivants des fables de la Fontaine ou bien créatures
sidérales surgies des constellations, à moins que ce ne soient des allégories
mythologiques directement tombées de la Lune, ces entités fantastiques hantent
les prés et les mares, les routes et les pâtures de Clinchamp endormi...
Elles souhaitent, dit-on, se montrer aux yeux de qui veut bien les voir.
Tout en se cachant des autres.
Tout simplement pour, en cette cambrousse de la Haute-Marne sensée être
loin des écrans portatifs pleins de vacuité de notre monde moderne, y faire
briller leur fulgurante incarnation.
C'est-à-dire, faire triompher la cause poétique suprême.
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