Se rendre à Clinchamp est un supplice, une horreur, une déprimante corvée
pour les uns. Une délicieuse initiation à la réalité pour les
autres.
Accepter de descendre dans un gouffre pour mieux escalader la nue est une
voie royale à la portée des éveillés.
Les âmes de qualité voleront vers ce trou à rats, pleines de joie, en quête
de plus d'azur, de plus d'esprit, de plus de lumière. Les autres, plus flasques,
incolores, moins élevées, resteront à produire des pensées stériles et autres
navets d'insignifiance dans leur petit carré de superficialité.
Au fond de ce néant de verdure on trouvera certes des bouses de mortelles
langueurs, des tas de fumier aussi lourds que des jours de plomb, des mares
fangeuses jamais joyeuses, des villageois à faces de bovins, des vaches aux airs
de mégères et un paysage aux allures de jardin de cimetière. Mais également un
horizon menant vers des nuages de diamants, des crépuscules aux flammes
fécondes, des nuits peuplées de spectres brillants, des aubes avec des larmes
glorieuses, et puis des clartés ordinaires qui révèlent des vérités
enfouies...
Sur cette terre aussi plate que ses habitants, on marche dans la merde,
s'enlise dans l'inertie, s'inhume sous dix siècles de silence.
Mais on y voit l'infini devant soi.
Mieux : les pierres y deviennent des plumes. Et les esthètes, des
étoiles.
Mais évidemment, seuls les êtres supérieurs perçoivent ces sommets
essentiels. Les cornichons en sabots du coin, les ânes avec des enclumes aux
semelles que sont la plupart des simples quidams sans histoire et les abrutis hyper-connectés de
passage avec leurs écouteurs soudés à leurs orteils, ne verront que la modeste
hauteur du clocher. Ou la légèreté supposée de mes mots. Ou même, carrément, ma prétendue folie. Les plus idiots m'appelleront "peintre du rêve" ou "conteur de l'étrange"... Les pragmatiques, qui sont aussi les plus hermétiques, diront que je suis tout banalement "anormal".
Ce que ceux-là ne comprennent pas c'est que, tandis qu'ils sont encore sur
Terre, bien à leur place dans leur époque, durablement enracinés dans leur chère modernité,
bloqués dans leur existence de voyageurs blasés, d'épiciers repus, de volatiles
trop pesants pour l'éther, moi je suis déjà arrivé au bout de la route, tout
près du ciel.
Derrière les apparences, là-bas à Clinchamp.
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