En hiver Clinchamp devient lumineux.
La neige qui tombe dans ce lieu improbable de la Haute-Marne, mortelle et
belle, afflige les oisillons et réjouit les loups.
Elle tue les frileux et revigore les aguerris, blesse ceux qui tremblent
dans leur tanière et fait briller ceux qui l'affrontent la gueule ouverte. Elle
gifle les faibles et caresse les survivants.
Il faut dire qu'autour de ce village anodin et pourtant pas comme les
autres, le froid y est tranchant, sec et sans pitié. Il coupe le souffle aux
rats comme aux hommes et les sépare encore plus du reste du monde. Dans ce néant
de blancheur, de silence et de platitude, tout se fige alors comme une seule
pierre monolithique qui se dresserait au sommet d'une immensité calme, claire,
sans vie.
Et là, comme par l'effet d'un prodige spécifique à cet endroit précis du
globe où jamais rien ne se passe ni ne se fait entendre, la banalité se
transmute en sublime.
Mais seuls les coeurs sensibles peuvent ressentir cette merveille,
percevoir cette clarté supérieure, accéder à ces hauteurs invisibles. Les
autres, bêtement, lourdement, prosaïquement, n'y verront que les misères de
décembre.
Par le simple fait qu'il soit enneigé, ce royaume sans histoire aux
apparences monotones s'isole rapidement jusqu'à ne plus du tout exister pour qui
n'y met pas les pieds. Et s'éloigne vers on ne sait quel étrange infini... Les
distances avec la civilisation semblent s'allonger de manière disproportionnée à
mesure que les jours s'écoulent et que le givre et le gel recouvrent champs et
toits. La commune ensevelie sous la poudreuse finit par disparaître des cartes,
des mémoires, de l'Univers.
Pour renaître au sommet d'un ciel poétique situé hors des normes de ce
temps, dans une fulgurance de beautés mêlées de mystère.
Mais toujours avec la dureté des éléments naturels, la férocité des lois
vitales, la douleur potentielle de tout ce qui est lié à la joie véritable. Le
Cosmos se célèbre dans sa totalité. Y compris les cadavres congelés des victimes
tombées du nid.
Ce clocher a des secrets qui se découvrent de l'intérieur. Entre rêves
enflammés et gelées immaculées.
Par-delà les frontières bien étroites de cette campagne obscure, faites de
bois épars et de vagues chemins, de buissons insignifiants et de coins sans nom,
d'autres portes s'ouvrent. Et la vue des éveillés qui se trouvent en cette terre
reculée s'élargit également.
Bref, ce que les étrangers ne savent pas, c'est qu'à la saison hivernale ce
trou perdu s'engouffre dans une voie royale, verticale, vertigineuse.
Et prend la direction lointaine de l'onirisme.
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