Dans les années mille-neuf-cent-soixante-dix, Clinchamp irradiait d'une
joie trouble, entre feu blanc et morne mélancolie. Comme un dimanche plein de
soleil sur une campagne semée de tombeaux.
Quelques habitants mystérieux vêtus de chapeaux d'un autre temps et de
bottes aussi légères que des rêves traversaient les champs de blé, survolaient les ruisseaux et voltigeaient dans des clartés idéales, ainsi que des
oiseaux aux plumes fabuleuses. Le village se trouvait alors plongé au centre
d'un tourbillon vertigineux et extatique dont le sommet désignait de lointaines
contrées enfiévrées du Cosmos, qui à l'heure actuelle ne subsistent plus.
Ou plutôt, que plus personne n'est capable de percevoir.
Il s'y racontait des histoires folles, oniriques, éthériques,
fantasmagoriques, entre lumières d'été et ténèbres d'hiver, poussière des
étables et ciel des pâturages, aube de mars et crépuscule de septembre, féérie
des nuits étoilées et réalité des jours de pluie. Des romans vécus auxquels nul ne
croirait aujourd'hui, parce que trop vrais pour ce monde factice,
aseptisé, standardisé.
Des visiteurs venus d'on ne sais où dormaient dans les bois et ne se
réveillaient qu'après après avoir atteint des rivages d'éternité, tout au fond
de leurs herbes perdues. Dans cette localité au nom d'oubli, au visage dans le
vague, aux horizons plats, les chemins débordaient d'ondes, de flammes,
d'ombres. Et tout devenait possible. Surtout lorsqu'on n'y attendait pas grand
chose. Il suffisait juste d'emprunter la voie royale tellement naturelle : celle
qui, depuis toujours, se présente sous chaque pas audacieux.
Les formes qu'on y voyait au-dessus des terres étaient aussi pesantes que
des nuages, et ces fumées au loin semblaient aussi présentes que des âmes, aussi
intimes que des songes. Ce théâtre avait un public de désincarnés, d'ailés, de
poètes et de rats. Et les hiboux, à cette époque, ressemblaient aux hommes
éveillés, avec leurs grands yeux ouverts sur l'infini.
Des femmes séjournant dans des cabanes secrètes, issues de hauteurs
incommensurables, d'espaces étranges et indescriptibles, ou bien tout
simplement égarées en ces lieux tels des papillons virevoltant au gré des fleurs
et du vent, allaient et venaient entre les vaches et l'azur, les arbres et les
grenouilles, les fossés et les cailloux, ivres d'air pur, de liberté et
d'amour.
C'était en mille-neuf-cent-soixante-douze exactement. J'avais six ans seulement, et je ne savais pas encore qu'il existait un tel paradis d'insignifiances mêlées d'immensités.
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