Voici, fidèlement rapportés par mon imagination, quelques propos échangés entre une femme laide et son amant.
- Je me sais aride, rebutante, haïssable, et cette grimace en guise de portrait est une offense à Vénus. Vous ne pouvez m'aimer. Votre lumière sur moi me rend honteuse. La tendresse que vous me destinez est une rose morbide. Il n'est pas séant que vous vous fassiez l'amant de la laideur. Vous choquez la morale, l'honnêteté, la société et son immuable harmonie ! Vous me faites rougir, et j'ai envie de pleurer. Je suis repoussante, je le sais, vous le savez, et c'est un crime de me chérir ainsi que vous le faites. La monde est peuplé de jolies filles qui ne demandent qu'à être chantées, louées, honorées selon les lois habituelles de l'hymen, ne perdez donc pas votre temps et votre jeunesse avec celles qui, comme moi, ne méritent de recevoir aucune fleur de la Terre. Je suis laide, laide, laide, et je vous interdis de me louanger ! Ce transport que vous m'avouez m'est une douleur, une peine, non un bien. Ne m'amadouez pas, laissez-moi en paix, seule avec mon infortune, comme avant, délaissée comme je l'ai toujours été. Voilà mon sort, ma juste condition, la volonté du Ciel et des hommes. Ne troublez pas l'ordre naturel de l'Univers. Vous faites mal, lors même que vous croyez bien faire.
- Vous êtes aigre et vous me plaisez. En esthète j'admire vos traits ingrats. Un feu baroque brûle en moi pour le paysage austère de votre physionomie. Le siège de mes passions, blasé des molles merveilles qui ont fini par émousser sa sensibilité, a élu votre tête déchue qui pleure aujourd'hui de se savoir estimée. Il s'est soudainement ému pour votre front sans éclat qui n'est qu'un désert de pierres, de roc, de friches. Et ce deuil a séché votre regard, durci vos lèvres, tari vos sourires : votre face est un mets bien amer, mais c'est pour moi un miel nouveau. Je goûte comme un Christ au vin âpre de la misère, et une étrange ivresse me gagne. Votre détresse est une croix qu'il m'est doux de porter. Votre disgrâce a aussi la saveur de la brume, la dureté des glaces, la sévérité du gel. Votre visage est pareil à une montagne rude et magnifique, froide et chaste, lointaine et silencieuse : je le contemple et je m'élève.
- Vous êtes fou. Ma pauvre couronne ne mérite pas d'être si bien servie. Je ne suis que la reine des servantes, la princesse de la poussière, la favorite des cailloux. Mon pouvoir ne s'étend point au-delà des ronces et des orties qui m'entourent. Je me sais si infâme que je n'accepte de compliments que de la part des pierres. Elles sont muettes et leur éloquence me va toujours droit au cœur. Je sais qu'elles disent vrai. Tandis que vous, vous me confiez des secrets que je ne puis entendre. Vous mentez. Allez plutôt rejoindre vos désirables donzelles, au moins elles vous croiront quand vous leur chanterez leurs grâces si sûres. Vous ne mentirez pas lorsque vous leur tiendrez galant discours. Je suis maudite, oubliez-moi.
- Vous êtes une épine, et vos larmes rendent humble, fragile, sensible cet autel qui bat en votre poitrine. Vous le briser est chose si aisée qu'il me faut prendre mille précautions pour le manier, de crainte de le blesser sans le vouloir. Vos sœurs plus charmantes sont armées de cuirasses, et je n'ai pas besoin de tant de manières pour les convaincre de servir la cause amoureuse : vite conquises, elles ne laissent pas le temps au fol organe de s'épancher comme il le faudrait. Sur quelques accords de musique, deux ou trois pas de danse l'affaire est entendue. Et ce dessein leur est si commun que l'hyménée qui s'ensuit est vide de joie, dénué de fraîcheur. Le nectar est devenu eau, le rêve n'est plus qu'un long ennui. Pour ces femmes si souvent courtisées l'amour est une aventure bien banale. On les séduit sans recherche, sans dentelle ni beaux plaidoyers. On les intéresse, puis les lasse, avec des piètres sentiments qui s'évanouissent dès l'aube. Ce ne sont que des étoiles filantes. Elles ont le lustre de la beauté, mais de racines point. Leurs élégantes singeries leur confèrent une futilité toute particulière. Et s'il est évident que les attraits ostensibles d'une vierge facile sont toujours flatteurs pour l'heureux séducteur qui les conquiert, il est également certain que les mondaines les plus belles sont aussi les plus superficielles. La vanité sied mieux à l'artifice qu'à la modestie.
- Ainsi je trouve faveur à vos yeux aujourd'hui, parce que je n'ai pas l'heur d'être de cette race des créatures radieuses que vantent tellement les coqs de votre espèce, ordinairement. Je veux bien croire à la ferveur de votre prière, au singulier émoi de votre chandelle ardente, puisque vous voulez tant que j'en sois convaincue. Je ne sais pourtant si votre galante dévotion est un outrage ou un éloge. A moins que cela ne soit que pure folie, mon ami.
- Croyez plutôt en la sincérité, la force et la gloire de ma flamme. Et oubliez donc au nom de cette fièvre -si particulière j'en conviens- les rigueurs de la simple raison. Je vous aime ainsi que vous êtes, parce que vous êtes ainsi.
1 commentaire:
Désolée d'ouvrir le commentaire d'un si joli texte avec de viles considérations mortelles. Et de base, qui plus est...
Ce matin, je terminais mon petit-déjeuner en supportant, comme de coutume, et dans un ennui aussi mortel que les considérations évoquées plus haut, quelques images beurkiennes du petit écran.
Fond sonore imposé.
Et soudain, des dorures...un palais.
Un palais à Paris.
Ambassade d'Italie.
Une pure merveille. Escaliers de marbre, salons chinois, peintures baroques...Une bibliothèque belle à se damner. Des livres pour se noyer, à caresser jusqu'à la fin des temps.
J'ai senti les larmes monter devant tant de beauté.
Mais aussitôt,à mon esprit une image est venue occulter le palais des mille et une nuit.
A Paris.
Paris...et des salariés qui travaillent et qui dorment dans leur voiture, faute de toits et pour cause de loyer hors de prix.
Mes larmes devenaient vraies. Et surtout raisonnables.
Je pleurai pour la vraie beauté de Paris.
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