Depuis trente ans la couronne mortuaire desséchée croupit au fond du placard de la vieille fille, exhalant des effluves voluptueusement âcres, rances et mystérieux. C’est son trésor à elle, sa relique chérie, le point de départ de ses ivresses passéistes. Trois décennies d’abstinence sexuelle enragée. Six lustres de plaisirs délicieusement inassouvis...
Chaque semaine elle va polir le tombeau familial de ses caresses glacées occasionnellement mêlées de postillons (issus des psalmodies de ses inintelligibles prières), vêtue de son légendaire manteau. Rigide. Plombé par un siècle de retard sur la mode.
Avec son allure d’une époque révolue, elle ressemble à une statue en marche vers des souvenirs jaunis. Une progression en arrière en réalité, grotesque et troublante, en direction de la poussière. Une fuite à reculons.
Sur la cheminée de sa chambre, des photos anciennes voilées par le temps présentent des visages graves de défunts oubliés. Comme de pâles fantômes en noir et blanc. Figés dans le silence pieux de cette pièce au relent de cadavre, aux couleurs d’ennui.
Au-dessus de son lit, désert de sécheresse, véritable temple de tristesse, éden de chasteté interdit aux hommes, sanctuaire de sa solitude, un crucifix rouillé veille sur la pureté de son hymen.
Ce chignon ambulant affectionne les atmosphères pesantes, austères et sinistres des dimanches de pluie consacrés à coudre en songeant au passé dans la pénombre de sa demeure honnête et navrée... Avec, pour seules compagnies, le grand corps froid en bois de l’horloge et le chant funèbre de la théière suant sur le feu.
Le “cercueil debout qui sonne les heures” est d’ailleurs la seule silhouette vaguement humaine avec qui elle a des rapports un tant soit peu intimes. Le soir en la remontant elle lui confie les menus évènements survenus dans sa journée vide, que ce soit à propos d’un dé à coudre égaré ou d’un oiseau venu chaparder quelque miette de vieux pain, lui parle de son existence de recluse, de ses errances au cimetière, de son renoncement à la chair, de sa mort, enfin de tous ces sujets insignifiants, mais surtout morbides, qui lui sont chers.
A cinquante ans, cette plante sans saveur aux formes atrophiées par des années d'hypocrite piété s‘est subitement enflammée pour son curé, un trentenaire séduisant et musculeux au regard cérulescent dont elle convoite les mâles faveurs depuis sa rêche alcôve (en prenant soin lors de ses fièvres lubriques de retourner la Sainte Croix).
Après quelques vaines, pathétiques et calamiteuse tentatives de séduction auprès de cet improbable objet de culte amoureux, blessée de n’avoir point été désirée par l'éphèbe d’église, elle s’est définitivement réfugiée dans ses névroses.
La pendule qui déverse ses larmes monotones meuble désormais toute sa vie, tissant de ses tic-tac horripilants un suaire de spleen sans fin.