Je chemine sur une route bordée de néant, entre des fossés ruisselants d'insignifiances.
Au-dessus de ma tête, le ciel cadavérique déverse un crachin de novembre plein de
promesses glacées.
Devant moi, une vallée d'immobilité. Ou plus clairement, une plaine pareille à une crypte. Agrémentée, tout de même, de quelques soupirs dans l'air. Ainsi entouré de ces invisibles agonisants, je me sens moins seul... Dans mon sillage, des bois coincés entre un horizon de léthargie et la certitude de s'enraciner dans l'oubli, des ombres traversant les champs et autres fantômes sans surprise, des empreintes d'habitudes figées dans la boue et des statues de monotonie qui se confondent avec le paysage.
Un silence de souche règne dans cette campagne désespérée où l'oxygène y est saturé d'ennui. Il n'y a pas
une brindille de vent, pas un cheveu de mouvement, aucun cil de vie, rien que des flots d'inertie et des rafales de grisaille. Et pourtant je vole dans ce vaste crépuscule, le coeur en fête, tel un papillon d'automne emporté dans un
tourbillon de feuilles mortes.
Je rêve, l'âme affolée, le pas brûlant, m'enivrant de l'humidité comme d'un
nectar de souvenirs marécageux.
Ce cimetière champêtre débordant de l'humus du sol et de l'huile rance du vieux temps m'enchante. Je trouve
ici mon véritable élément : le froid, le peu, l'essentiel.
Au milieu de cette tempête de morosité, je suis une flamme ! Au centre de cette
terre semée de torpeur, je palpite et m'embrase ! Dans cette impasse naturelle où convergent pluies et tristesse, je deviens un océan de lumière ! L'austérité du réel me fait pousser des ailes. Le poids des ténèbres me force à m'alléger. La misère du dehors
fait ressortir mes feux intérieurs. Les cailloux sous mes semelles me
remplissent d'azur. Les étendues noires qui m'entourent m'éclairent. Ce jour
de plomb me fait monter comme une plume.
Ici tout est vague et lointain mais j'y vois très clair. Ma peau est dure,
mes sentiments sont vrais. J'avale la mélancolie des lieux et recrache de la joie.
Cette cambrousse obscure dans laquelle je m'envase, ce stade zéro du présent où le monde s'enlise, cette place remarquable d'un passé mortel, ce point de départ d'un avenir inexistant où
personne d'autre que moi ne désirerait s'égarer, ce nulle part depuis lequel je puis percevoir l'infini, ce sommet ignoré de notre
siècle enfin sur lequel je puis contempler l'Univers entier, se nomme tout
humblement Clinchamp.
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