En mars là-bas la glèbe est noire.
Comme dans n'importe quel bourbier de sous-préfecture en cette saison de hallebardes, certes. Mais bien davantage dans
cette campagne d'enterrés qu'ailleurs, car il y a, en plus, le poids de la boue.
Et la
légèreté du ciel en moins.
Les spécialités du coin, ce sont ses misères : l'ombre de l'horizon,
l'insignifiance des bois, la banalité des jours sans éclat, la torpeur des
chemins qui mènent à des destins de deuil.
Et à des espoirs de néant.
Avec, dans les brumes, ainsi qu'une vallée de pleurs, des foyers comme des
tombeaux.
Mornes maisons habitées par des morts-vivants malheureux de vivre, heureux de
mourir.
Notons l'odeur de cave se dégageant des demi-animaux bipèdes qui
peuplent ce trou d'inertie... Et les stigmates de l'ennui sur leurs faces de défunts. Ils naissent sans fracas ni artifice, aiment leur cabot ou leur âne, puis trépassent en sourdine dans une mare d'immobilisme ancestral où s'enfoncent
allègrement leurs semelles crottées.
Et pataugent gaiement les canards.
Relevons encore l'épaisseur des trognes qui s'accorde si parfaitement avec l'enclume des soupirs.
Clinchamp est un paradis de sublimes platitudes où se retirer, loin des
tapages du monde, afin d'y gémir en paix de l'aube au crépuscule, le regard
dirigé vers des nuages aussi pesants que des nappes de plomb.
Et fermer les yeux la nuit pour mieux fuir les naufrages de la journée.
L'esthète vient y pleurer de bonheur morbide. C'est le décor idéal pour y
déverser ses flots choisis de regrets. Et se noyer dans une mélancolie au goût de
miel. Comme dans une mer d'huile et de silence, sans faire de vagues. En compagnie d'oiseaux
déplumés et de rats glorieux.
En ces lieux sans histoire le présent est une pure absence de vie, le passé un ossuaire d'heures perdues, le futur un rêve déjà inhumé.
C'est au fond de ce jardin d'oubli, entouré de ces espaces innommés, dans
le ventre de cet ogre malingre, au sein de ce brouillard momifiant que je souhaite
m'éterniser.
Pour me faire dévorer par la gueule céleste.
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