Les toits de nos maisons sont les derniers refuges isolés de nos cités, les
horizons ultimes de notre monde urbain.
Plus proches du sol que du ciel et pourtant hors de notre portée, ces
hauteurs à dimensions humaines ne sont paradoxalement accessibles qu'aux
volatiles et aux félins. C'est même là leur céleste asile pour les premiers,
leur terrain de jeu pour les seconds.
Rares sont les humains s'aventurant sur ces îlots verticaux.
Seuls les charpentiers, les ramoneurs et quelques étranges bipèdes
voltigeurs y posent leurs pieds. Les autres n'y font que poser leurs regards ou
bien laisser courir leurs rêves...
Ces endroits inhabitables situés loin du plancher des vaches sont les
demeures privilégiées des êtres pleins de légèreté : ceux faits de plume et
d'esprit essentiellement.
Les amoureux qui se cachent sous les lucarnes pour y laisser déborder leur
folie romantique, ou leurs larmes, aiment à se retrouver à la même altitude que ces
sanctuaires de chaume ou de roc où nul ne les voit, temples exposés à tous les vents, à toutes les clartés, à toutes les ondes. Là juste au-dessus
de leurs têtes.
Quant aux poètes, ils s'attardent des nuits entières à imaginer que des
histoires à dormir dans l'azur se passent secrètement là-haut... Jusqu'à ce que
la Lune vienne les sortir de leur féconde torpeur en éclairant tuiles et
ardoises de sa flamme morte, pendant que les sceptiques dorment.
Les saisons tantôt arrosent, tantôt assèchent ces lieux aussi pointus que
pentus dans les fracas des jours tourmentés ou bien dans les silences des nuits
gelées, tandis que plus bas la vie ordinaire coule paisiblement, indifférente
aux brumes, aux feuilles échouées, aux égratignures des ans comme aux brûlures
du Soleil, en ces points culminants...
Et c'est là, tout près des cheminées, au bord des gouttières, entre la
caresse d'Éole et le vertige du vide que je me projette tel un oiseau ou bien
un chat, perché sur les toitures de la ville, ainsi qu'un Quasimodo des sommets
communs.
Et je me figure sur ces cimes, observant les hommes depuis ma tour d'ivoire
faite de pierre et de zinc, roi des espaces aériens, ami des pluies, des
tempêtes et des girouettes, comme si j'habitais désormais non plus sur Terre mais dans les nuages.
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