A Clinchamp le facteur apporte généralement des nouvelles assez
mélancoliques, plutôt indigestes ou bien franchement léthargiques aux
habitants.
Avec son uniforme éclatant sur sa carcasse fatiguée, il ressemble à un
vieil oiseau auguste au plumage funèbre.
Comme une sorte de croque mort matinal.
Son sac postal est invariablement surchargé de morosité : il déborde de
molles platitudes et transpire de pesantes habitudes. Ce sont à chaque fois des
pluies de fadeurs et des pleurs de tiédeurs qu'il faut déverser chez les uns et
chez les autres.
Des flots de lourdeurs qui parviennent chez leurs destinataires à tarifs
réduits, lentement mais sûrement.
Avec un peu de retard certes, mais jamais sans douleur.
Parfois il lui arrive tout de même de déposer dans quelque boîte un rayon
de crépuscule plus fulgurant qu'à l'accoutumé : l'annonce d'un décès, d'une
vache malade, d'un redressement fiscal, d'un divorce...
Alors chez l'heureux élu qui reçoit ce plomb du ciel sur la tête, le
ronronnement du quotidien est brisé par un tonnerre de mort.
Ce qui change agréablement des sempiternelles lettres d'insignifiance et
d'ennui : les plus redoutables en réalité parce que les plus soporifiques.
Il est bon de savoir que lorsqu'on s'endort trop longtemps dans ce trou
d'apathie, le réveil n'est pas formellement assuré pour tout le monde...
La tombe devient le prolongement naturel des jours de pétrification.
Bref, le postier fait son office, sinistre mais néanmoins
consciencieux.
Et lorsque sa tournée est terminée, la sacoche délestée, le regard terne,
le geste las, le distributeur de courrier regagne son antre mortel pour
réapparaître le lendemain avec, sur le dos, un nouveau fardeau de déprime à
répandre dans les foyers.
Cependant, ce que nul ne sait au village, c'est que l'employé de la poste
n'est pas aussi lugubre qu'il veut bien le montrer... En vérité, même si sa
besace est remplie de grisaille, de poussière administrative, d'enclumes de
bureaucrates, d'enveloppes aux tampons austères et de cadavres de parents sans
héritage, sa tête, elle, est pleine de rêves légers, de nuages clairs,
d'immensités lumineuses et d'hirondelles azurées...
Qui le voit sourire de bonheur entre deux dépôts de missives, comme s'il
avait deux ailes pour porter sont lot de misères dûment affranchies aux prix en
vigueur ? Le préposé n'a que faire du contenu de ces âpres papiers qu'ils amène
à ces pauvres gens, comme si c'étaient des pierres jetées sur leur coeur.
Son secret c'est que, contrairement aux villageois endormis, il vole. Alors
même que pèse sur ses épaules la montagne inepte de leurs soucis de lourdauds.
Ce qui lui importe, lui l'éveillé suprême, lui le vagabond de l'aube, lui
le voyageur vertical, c'est tout simplement de pouvoir, chaque matin, respirer
l'air de Clinchamp.
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