Un matin, très tôt, on toqua à ma porte.
Je me levai à la hâte, un peu inquiété par une si matinale surprise au fin
fond de ma forêt... D'habitude nul ne vient jamais frapper à mon huis. C'est
même la toute première fois que cela arrive.
D'une voix que je m'efforçai de paraître assurée, je demandai qui était là.
Aucune réponse. Je n'osai répéter ma question.
Mais après tout, qu'avais-je véritablement à craindre, bien loin des fracas des villes ? Excité par la curiosité, je décidai d'ouvrir à l'étranger. Peut-être
n'était-ce qu'un mauvais farceur... Et puis en bon ermite que je suis, je me
dois de toujours faire accueil honorable aux oiseaux de passage !
Lentement j'entrebâillai l'entrée de ma demeure, laissant pénétrer la
lumière du jour dans la pièce.
Et là, une chose effrayante m'apparut.
Un épouvantail.
Ou plus exactement, un bonhomme hirsute au front ridé, vêtu de guenilles et portant un
chapeau de paille rapiécé. Une sorte de spectre de chair et haillons.
Je lui adressai poliment la parole :
— Bonjour Monsieur, soyez le bienvenu chez moi.
Il avait le regard profond des vieux sages, l'allure augurale des grands voyageurs, la majesté des messies. Mais ses propos contrastaient avec son apparence de mage :
— Je viens apporter les rêves de l'homme. Je vends les trésors de l'esprit au prix de la pauvreté du loup. Si vous voulez acheter les richesses du ciel, je vous les cède en échange de quelques cailloux.
En prononçant ces mots sibyllins, ses yeux s'écarquillèrent comme ceux d'un hibou et je ne savais pas si j'avais affaire à un messager céleste ou à un fou. Il se dégageait pourtant une réelle aura de ce curieux visiteur au visage biblique. Mais comment être sûr que ce n'était point un simple égaré, un mendiant poète enivré de quelque nectar ou une espèce de comédien s'adonnant à son théâtre pour je ne sais quelle cause obscure ou farfelue ? Je lui proposai l'hospitalité néanmoins.
— Je ne comprends pas ce que vous me dites Monsieur, je vis ici hors de tout, satisfait de n'être pas ailleurs qu'en ce trou de solitude. Avez-vous faim ?
Après un bref silence, il me répondit :
— Je ne mange guère. Mes biens les plus précieux sont hors de portée de ce siècle. Je suis né pour voler. Tout ce que je désire, c'est présenter mes humbles diamants aux mortels que je croise sur ma route. Je ne fais que passer, ensuite je disparais en ne laissant que des pensées derrière moi.
Ne sachant comment réagir devant ce pèlerin aux phrases déroutantes, je le remerciai pour son aimable visite en précisant que je n'avais besoin de rien d'autre que de ma liberté, moi l'heureux reclus des bois.
Il n'insista pas et après m'avoir salué, il repartit.
Je réfléchis longtemps au sujet de cet étrange événement. Tout cela semblait tellement surréaliste ! Qui donc était ce mystérieux vagabond ? Que cherchait-il réellement ?
A force de m'interroger sur cette énigme j'obtins une forme d'explication.
En effet, je pris finalement conscience que tout pouvait arriver, surtout l'inimaginable, lorsqu'on prend la décision, comme moi, de vivre ainsi dans le plus total isolement.
Et je dus me faire à cette idée : se retirer du monde, c'est à un moment donné pousser une trappe sur l'inconnu.
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