Dans cette gerbe d’éclairs que sont “Les Fleurs du Mal” le lecteur, qu’il
soit profane ou avisé, retient surtout les pépites : les corolles les plus
éclatantes, les tiges les plus hautes, les parfums les plus capiteux.
Les roses furieusement épineuses de cette illustre efflorescence ont
impressionné la mémoire collective.
“L’Albatros”, “Une Charogne”, “Élévation”, “La Beauté”, “Remords posthume”
et quelques autres joyaux brillent dans nos vieux souvenirs lycéens, idéaux et
sulfureux... Tels sont les sommets de ce bouquet de splendeurs vénéneuses.
Et puis il y a les plantes ensevelies de cette céleste œuvre florale, moins
renommées mais non moins infernales... Et on redécouvre ces ténèbres sous de
nouvelles clartés. A moins qu'on ne relise ces vers éblouissants d'un œil plus
sombre...
C'est que « Les Fleurs du Mal » offrent, à certains esprits, de diaboliques
aspects du réel. A d'autres, il présente des facettes lumineuses de notre
monde.
Aussi, il n'est ni vain ni bénin de plonger dans de telles profondeurs...
Révélateur de nos âmes, l'ouvrage mérite bien son titre venimeux !
Et même, en me risquant à ce qui semblera être une basse effronterie, son
procès.
En effet, j'ose le dire, c'est là que l'auteur y reçut ses véritables
palmes.
C'est l'apanage des blancs plumages que d'être ainsi noircis par les
foudres des censeurs. L'albatros, c'est Baudelaire, est-il besoin de rappeler
cette évidence ? Et il trône, insupportable de supériorité, dans les sphères
impérieuses de son art majeur. Il nous toise de son œil superbe.
Une ALTITUDE qui enchante les ardents. Mais une ATTITUDE qui outrage les
frileux. Une aile sépare les enflammés des offensés. Les premiers sont aux
anges, les seconds sur leurs gardes.
Les uns prendront la plume baudelairienne comme une caresse âpre et
salutaire, une gifle rédemptrice, les autres comme une injure à leur lourdeur de
béotiens.
En général le lecteur ordinaire (c'est-à-dire vous et moi) se garde bien de
s'assimiler ou de se laisser assimiler à la catégorie honnie des timorés, des
pantouflards, des pâlichons : il feint de n'être point blessé par ces
tranchantes vérités poétiques reçues en pleine face...Il se persuade qu'il
appartient, lui aussi, à la race des oiseaux d'envergure, au peuple des élus de
la lyre...
Mais secrètement, il sait. Nous savons. Nous pauvres laudateurs corrompus
par nos bassesses, nos médiocrités, nos vulgarités, à un moment donné, au fil de
la lecture, au détour de tel poème encore plus fulgurant, plus mortifiant, plus
vérace, ne nous sentons-nous pas visés par les flèches acerbes, presque
vengeresses, d'un auteur follement, désespérément épris de lumière ?
Nous ne sommes jamais à la hauteur. Baudelaire vole, nous nous contentons
d'applaudir. Encore bien trop lâches, trop veules et trop lourds pour oser le
suivre.
Une nouvelle occasion nous est donnée ici, en relisant ces « Fleurs du Mal
» avec lucidité et quiétude, de nous purifier un peu plus et de ranimer notre
flamme.
VOIR LES DEUX VIDEOS :
"Les Fleurs du Mal", un sommet de la littérature édité par Daniel Conversano :
https://danielconversano.com/product/les-fleurs-du-mal-charles-baudelaire/