Tandis qu'un jour je m'étais éloigné dans les profondeurs de la forêt, je
croisai une troupe de gaillards à cheval accompagnés d'une meute de
chiens.
Une chasse à courre !
Un peu plus loin devant eux, un cerf. Un superbe mâle, immense, plein de
majesté avec ses bois comme un candélabre désignant le ciel. Epuisé, acculé dans
une impasse, il est sur le point de faire face à ses poursuivants.
Lors de cette promenade forestière le hasard m'avait donc amené à assister
à une scène rare : le moment crucial d'un affrontement entre le bipède et
l'animal. La rencontre ultime du prédateur avec l'objet de sa convoitise.
La pièce de théâtre va commencer. Je me cache derrière un tronc et observe
en silence.
Un cavalier descend de sa monture pour courageusement s'approcher de sa
proie, une dague à la main. Le premier est froid et concentré, la seconde
essoufflée et effrayée.
Le drame qui inopinément se présente à mes yeux prend une dimension
vertigineuse. L'enjeu est cosmique : la survie ou le trépas. Le triomphe de la
vie ou l'anéantissement dans la mort. La gloire ou la chute.
Bref, le grand jeu de la nature, l'éternelle roue du destin, les forces
vitales en action, le choc frontal entre la lumière et l'obscurité... Celui qui
mourra aura fatalement tort.
Le spectacle me fascine. Qui de l'homme ou de la bête sortira vainqueur de
ce duel sans merci ? Je ne veux pas perdre une seule goutte de ce sang qui va
bientôt être versé !
Je frémis pour le vaillant tueur à la lame, si sûr de lui, tout en
tremblant pour le gibier prêt à sauver chèrement sa peau... Lequel des deux
succombera aux coups de l'autre ?
L'égorgeur, brave et résolu, se tient tout près du cervidé qui souffle et
écume.
Tel un maître de cérémonie, le traqueur lève son arme... Dans son costume
d'apparat, il brille comme un soleil. Mon coeur bat. Ma respiration se
fige.
J'ai peur pour le matador. Dans un sursaut désespéré de défense, le
quadrupède pourrait le blesser, voire pire...
Je n'ai pas le temps de m'émouvoir davantage : le couteau s'abat sur le cou
de la victime qui s'effondre instantanément. Et lourdement... La carcasse gît
aux pieds du boucher dans une flaque rouge. Heureux dénouement. Je me surprends
à applaudir de joie et de soulagement !
Le meilleur a gagné, le faible a perdu. Telle est la loi.
Les veneurs m'invitent à trinquer avec eux. Je félicite l'exécuteur. Tout
est bien dans le plus juste des mondes.
La fête terminée, je m'en retournai le soir à mon ermitage, encore tout
émerveillé par l'esthétique déployée dans cette cause suprême.
Je sais que la société citadine maudit ces hardis aristocrates pour tant de
pompe et de cruauté mêlées. En oubliant qu'elle se montre elle-même cruelle et
laide : elle saigne l'agneau sans état d'âme, sans artifice ni sentiment. En
abattant les êtres de manière industrielle, elle se croit plus vertueuse.
En réalité ses meurtres sont hideux, immondes, inhumains. Alors que les opéras martiaux de ces authentiques esthètes sont pleins de beauté, de noblesse et de dignité.
Sous mon toit de reclus je fais de ma solitude une oeuvre d'art moi aussi, en quelque sorte, loin des flasques, ignobles et hypocrites valeurs de la ville, en me réjouissant opportunément de la férocité ritualisée de ces sanguinaires seigneurs si bien organisés dans l'auguste sylve, au lieu d'en pleurer stérilement.
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