Un jour je vis une barque passer sur la rivière.
Une femme en était le modeste capitaine. Etonné et amusé de cette présence
inhabituelle sur l'eau, si proche de mon ermitage, je lui adressai un signe
amical de manière impromptue, comme il est coutume de le faire en pareil
cas.
Contre toute attente, sur ce geste elle vint accoster la rive boueuse
avec un air enthousiaste. Je pensais qu'elle aurait continué tout simplement son
chemin après avoir répondu à mon salut. Visiblement elle semblait chercher le
contact. Une réaction tellement humaine...
Je l'observai donc de plus près. Il s'agissait d'un extraordinaire équipage
en réalité. L'embarcation était remplie de divers objets à usages domestiques et
artistiques : des coussins, des casseroles, des livres, des pièges à rats, un miroir chinois, un gros tambour, une
nature morte dans un grand cadre dorée, une multitude de bibelots, un chat noir famélique, un violon, de beaux vêtements anciens, un chevalet, un baromètre... Mais surtout, la passagère vêtue d'une robe blanche d'un autre temps me paraissait
fort désirable, bien qu'étrange, extravagante, comme sortie d'un rêve ou bien
d'une pièce de théâtre.
Elle m'expliqua être une châtelaine voyageant ainsi au gré de l'onde en
quête d'aventures, de rencontres et d'inspiration... De toute évidence j'avais
affaire à un esprit original. A mon tour je lui signifiai ce que je faisais au fond de cette forêt. Elle fut enchantée de faire ma connaissance. Mais moi je lorgnais
intensément sur ses appas, une telle apparition en ce lieu isolé tenant du
prodige ! A part les sangliers, qui d'autre aurais-je pu espérer croiser dans ce trou ? Certainement pas cette déesse... J'ignore si elle avait conscience de mon trouble. Et puis comment
prendre cette merveilleuse et fracassante intrusion dans ma solitude ? Une cloche du destin ? Un
pur hasard dénué de sens ? Un caprice du sort ?
Cette improbable navigatrice aurait pu être laide, plate, osseuse, sotte, peureuse,
désagréable, folle et méchante. Devant moi se tenait une superbe créature
aux formes vénusiaques, au caractère aimable, au visage souriant... Une
personnalité brillante et pleine de fantaisie avec qui échanger des choses bien agréables...
Je brûlais d'en savoir plus sur cette drôle de marquise aux effets ravageurs. Mais la mondaine loufoque demeurait dans son
univers ouaté et décalé. Tel un oiseau perché chantant en haut de sa branche,
elle m'éblouissait de ses mots lumineux et de sa compagnie romanesque. Quelle
fraîcheur elle dégageait !
Cependant, avec ses ailes splendides et son âme si légère, le papillon me parut finalement inaccessible. Je me rendais compte que mon chapeau de loup des bois dépareillait radicalement avec sa plume dans les cheveux, car oui j'ai omis d'ajouter ce détail délicieux : elle avait mis de l'azur dans sa chevelure.
Bref, je voulus sortir de cette féérie avant qu'elle ne m'emportât dans d'amères désillusions. Je décidai donc de rompre le charme. J'annonçai à la visiteuse qu'il était l'heure de rentrer chez moi, sans lui préciser que mon foyer se situait non loin de là, afin qu'elle ne m'y suivît point. Après avoir fait quelques tours retentissants sur la berge, elle repartit sur les flots où elle disparut bientôt de ma vue, dans une tempête de beauté.
Le soir au coin du feu je repensai longuement à cette mystérieuse vagabonde. Avais-je bien fait de l'éloigner de ma vie ? La flamme se tortillait joyeusement dans l'âtre. Et, comme une amante jalouse, me rappelait avec douceur qu'elle concourait, elle aussi, à mon bonheur d'ermite jusque dans le silence de la nuit.
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