Aux lecteurs alléchés nous aurions pu présenter Marguerite, le sujet central de cette histoire, comme une superbe quinquagénaire.
Une femme mûre avec de beaux restes de rêve, faite pour réveiller les appétits de l’homme blasé. L’incarnation éclatante, dorée au soleil de l’expérience, d’un l’idéal féminin qui n’en finit pas de produire des fruits savoureux au fil des ans... C’est-à-dire, dotée des charmes de la jeunesse miraculeusement prolongés au-delà de ce qui est ordinairement permis. Bref, nous aurions assuré que cette Marguerite-là se déployait tel un papillon de salon destiné à éblouir durablement les mâles. Avec tous les espoirs qu’un tableau si parfait pourrait susciter chez les adeptes du romantisme éternel.
De quoi bien commencer le récit de cette étincelante aventure logiquement vouée à se terminer en un feu d’artifices qui ne devrait raisonnablement pas s’éteindre de sitôt dans vos coeurs, vous qui lisez ces mots...
Sauf que nous serons plus près de la vérité en annonçant les vraies couleurs de la “créature” : proche du monstre, loin de vos illusions.
1 - CHOC HORMONAL
C’est la légende du pire et non du meilleur que vous allez lire ici. La folle comédie d’un hymen né pour la misère, la sinistre figure d’une guenuche conçue pour un inaccessible bonheur. Et qui devra se contenter des miettes à portée de sa bêtise. En effet, ce plaisant laideron au destin aussi prodigieux qu’acerbe, héroïne de ces écrits acides et noires merveilles, n’avait pas la totale conscience de ses limites. Le mince pouvoir de séduction de ce chardon en chignon paraissait flagrant. Un simple "détail" selon son propre décret. Un sujet secondaire, une moindre chose pas assez sérieuse pour que ses potentielles conquêtes daignassent s’y attarder...
Se croyant appétissante sous d’autres allures, la fleur flétrie nommée Marguerite comptait bien faire payer à ses futurs amants un prix immodéré pour l'accès à ses flasques trésors.
Ne fût-ce que par son seul statut de femme, cette herbe sèche pensait représenter un objet de convoitise auprès de la gent virile, qu’on le voulût ou non, et pouvoir sans effort se hisser sur un trône imaginaire aux côtés de Vénus. Quoi qu’elle fît, sous prétexte que son flanc était demeuré sans tache et son intimité en attente de saillies, elle restait persuadée de faire partie des élues prioritaires de l’alcôve.
Resplendissante de ridicule, bien à sa place dans son rôle phare de naufragée du monde moderne... Pitoyable et drolatique singerie de l’amour !
Evidemment, l’hypocrite gargouille avait de tout temps mis son insuccès sur le compte de la préservation de sa vertu. Ses froideurs à l’égard des hommes ayant toujours été farouchement érigées en flèches glorieuses destinées à l’écarter de l’enfer de l’impiété et de l’ordure du plaisir illégitime.
Mais après des décennies d’abstinence, tenaillée par la rage du désir, le naturel avait fini par rattraper ses chimères. Et la vierge pieuse, forcée par les lois majeures de ses hormones en ébullition et de ses pensées chauffées à blanc (ces dernières commençant à se dérégler), avait décidé de devenir la plus honorable des putains.
Ni ses missels ni ses « pratiques honnêtes » n'avaient su contenir le volcan qui grondait en ses flancs depuis ses premières règles. Il avait bien fallu qu'elle se rendît à l'évidence, à plus de cinquante ans : le diable de la lubricité hurlait en elle. Les nerfs éprouvés, les humeurs fermentées, ses fantaisies tournant aux plus délicieux des cauchemars libidineux, succomber au péché était devenu une question de santé. La raison lui sembla on ne peut plus légitime.
Couverte par cette excuse, elle pouvait désormais se vautrer dans les turpitudes charnelles qui la hantaient en secret. Le siècle l'absolvait.
Elle se devait de prouver à tous son « humanité ».
A travers son imperfection, sa « chère imperfection » aimait-elle à répéter non sans orgueil, l'immodeste oie blanche voulait montrer à quelle hauteur d'humilité elle était parvenue en empruntant le chemin des concessions, marche après marche… Elle tirait gloire de ses infirmités morales, comme un gage de pauvreté devant Dieu et un aveu d'authenticité devant ses semblables.
Elle avait trouvé là une forme subtile, tordue et toute personnelle de perfection qui arrangeait bien ses affaires... Ce qui lui permettait de donner libre cours à ses pires penchants, le cœur bien pourri mais l'âme légère.
S'accepter aussi misérable que possible la remplissait de satisfaction malsaine. Elle se sentait grandie en assumant de se rouler dans la fange, que ce fût par faiblesse ou par opportunisme. Ou pour de bien pires raisons...
De la même façon qu'un martyr accepte l'enfer de son sort terrestre par amour du paradis convoité. A la différence que la misérable voulait jouir ouvertement de sa condition de pécheresse...
Bref, se croyant dédouanée par le Ciel du fait de sa position « privilégiée », elle se résolut sans aucun remords à sauter à pieds joints dans le gouffre insondable de sa sottise.
2 - NOUVELLE TOILETTE
La porte de sa liberté sexuelle étant grande ouverte, elle se précipita avec ardeur et en toute indécence dans un bazar de vêtements de mode bon marché, l'énorme crucifix encore bien en vue entre ses mamelles absentes. Consciente de la nécessité de réformer son existence au nom de la sauvegarde de son intégrité mentale, elle n'en chérissait pas moins ses dévots ornements. Il ne s'agissait nullement de renier sa flamme religieuse, loin de là. C'était plus pervers encore : elle pratiquait la religion de l'ostentation en toutes choses, que ses intentions fussent claires ou obscure, franches ou troubles, saintes ou dépravées. L'essentiel pour elle était de faire son théâtre.
Rien ne pouvait plus entraver son fol élan vers la déchéance. Avec sa fortune patiemment accumulée de rentière avaricieuse, elle avait de quoi se parer des pires atours afin de plaire aux hommes de son choix, c'est-à-dire à personne.
Voulant s'embellir, elle s'enlaidit tout à fait.
Et pour fort cher, finalement ! Ses goûts vulgaires, ses braises obscènes, son manque de discernement l'avaient transformée, au sortir du magasin, en véritable maquerelle. Tous les codes du genre y avaient été involontairement adoptés. Ne se rendant nullement compte de son image grotesque, l'immonde poupée de strass alla parfaire sa décrépitude chez le coiffeur. Elle en ressortit avec une tête hideuse faite d'un mélange de traits ingrats et de mèches d'or puériles, risibles, qui la déparèrent totalement. A sa disgrâce naturelle, elle avait ajouté de la laideur artificielle. Le tout donnant à sa face, à sa silhouette un aspect criard, inauthentique, esthétiquement choquant, outrageux. Précisions que, désireuse de mettre en avant la disponibilité soudaine de son hymen aux yeux des galants, la croix pectorale avait disparu sous la dentelle de son chemisier au goût douteux. Fin prête pour le grand saut dans l'abîme des plus sombres embrasements, elle espérait le vertige. C'est ainsi accoutrée qu'elle s'empressa de rejoindre son foyer de vieille fille. Et là, sans pudeur, tout à son aise, elle se farda outrageusement. Puis s'admira longuement face à son miroir, heureuse de sa transformation. Comme une vache osseuse qui se serait changée en rutilante morue.
3 - TENTATIVE DE SÉDUCTION
Sa première nuit de « femme désirable » (mais non encore désirée) fut peuplée de songes immodestes, enflammés, scandaleux. Elle s'y voyait déjà ! Entourée d'éphèbes imaginaires aux regards enfiévrés, elle rêva de chevauchées lubriques improbables, fantastiques, répugnantes... Ses fantasmes lui avaient fait perdre tout sens de la mesure et surtout, surtout, tout sens de la réalité : elle s'était enfoncée davantage dans l'illusion d'être séduisante. Elle se croyait irrésistible. Et elle l'était en effet : dans la clownerie involontaire. Définitivement pitoyable sous sa vieille peau de dépravée en mal de coïts de cirque, avec son maquillage de gugusse... La cosmétique hurlante débordait, dégoulinait, vomissait de ses orbites de déjà morte, de ses lèvres pincées, de ses pommettes anguleuses. Comme un crâne que l'on aurait peinturluré afin de le rendre encore plus affreux et macabre.
Au réveil, parfaitement conscience que des lustres de vertueuse abstinence allaient être sacrifiés, en toute justification, sur l'autel de son hygiène mentale, elle se leva triomphante, comme si elle n'attendait que ce jour depuis sa lointaine puberté... A la vérité, l'infâme bigote était plus préoccupée par le stupre lui-même que par l'équilibre de ses humeurs, la propreté de ses idées.
Elle choisit de se rendre dans la ville voisine où nul ne la connaissait, afin d'y exercer ses charmes cadavériques. Pour ce baptême du feu (et de l'ordure), elle porta le même déguisement indécent que la veille. Allié au grimage outrancier qui allait si bien avec...
Puis, parada dans la rue principale de la cité, affublée de ses odieux atours, bien décidée à remporter sa première « palme du bonheur » lors de cette pêche à l'amant... D'allées en venues, elle s'exhiba toute l'après-midi devant les commerces, les demeures bourgeoises, les passants, dans une espèce de chorégraphie nuptiale incongrue, maladroite, déplacée. Et fit sensation. Comme un sapin de Noël au milieu d'un champ de betteraves. On ne vit plus que l'horreur de sa toilette, la lourdeur de ses effets, la misère de ses faux éclats. Bientôt il ne fut plus question que de la vision de cette verrue lustrée déambulant dans l'artère principale de cette sous-préfecture où, ordinairement, le moindre événement prend des proportions démesurées. Avec cette apparition, ce fut un séisme. On se retournait sur son passage, choqué, moqueur, consterné. Et les commentaires allaient bon train. Evidemment, aucun cavalier n'alla tomber dans la toile de l'araignée. Et à l'issue de cette première journée de tentative de conquête amoureuse, toute étonnée de n'avoir point été abordée par quelque fringuant moustachu, elle s'en retourna chez elle, fatiguée, dubitative, quoique fort heureuse de cette sortie en grande pompe signant son entrée fracassante dans le monde des « repus de la chair ». Bien qu'elle restât affamée de sexe, l'hymen toujours aussi creux qu'au matin.
4 - REVUE DE VIE
Contrairement à l'homme qui est un chêne, la femme qui n'est qu'une fleur vieillit toujours mal. Sauf que Marguerite, plus proche de la ronce putride que du pimpant pétale, avait toujours été égale dans la disgrâce. Le temps sur ses traits repoussants demeurait sans effet. Piètre avantage dont elle n'avait d'ailleurs nullement conscience. Elle pensait au contraire pouvoir profiter de sa « verdeur capitalisée », comme si l'usage des rires, des plaisirs naturels et de la joie gâtait les jeunes natures... Et que leur rétention prolongeait les fraîcheurs de l'âge vernal... Elle revoyait ses années de solitude passées dans la dévotion. Et se glorifiait de n'avoir jamais succombé à la souillure, satisfaite de cette existence de renoncement qui lui conférait, au moins à ses yeux, une très haute valeur en tant que « vierge de choix ». Néanmoins elle n'oubliait pas que durant cette période d'intense piété, son horizon céleste ne s'était pas totalement maintenu au bleu fixe. En effet, partagée entre la joie amère de son célibat et la jalousie à l'égard de ces femmes qui jouissent sans entrave des plaisirs de la vie, elle s'était souvent demandé si elle ne perdait pas ses plus beaux jours à chanter le Ciel dans l'ombre des églises... Cela dit, dans l'absolu le résultat revenait au même puisque, pieuse ou non, jamais elle n'aurait pu porter les joyaux pétillants de l'érotisme. Même si elle l'ignorait, sa laideur la condamnait.
Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, elle avait connu des nues radieuses dans son olympe de rombière, certes sclérosée au fond de sa province mais loin des vacuités du monde, si près de ses idéaux de bonheur désincarné... Et c'est en toute sincérité qu'elle avait goûté à cette joie âpre, sans arrière-pensée ni aucune malice. Elle se remémorait ces années bénies où, emportée par le vent de l'ivresse divine, elle sentait que des ailes l'allégeaient, que des sentiments sacrés l'illuminaient, que l'humble extase de la messe dominicale suffisait à combler son être d'authentiques délices... Notamment lorsqu'elle écoutait les chants rituels qu'accompagnait l'harmonium. Elle avait même la nostalgie de ces moments de pureté récompensés par tant de bénédictions... Oui elle avait été heureuse, à sa manière, seule et exclue, réfugiée dans sa virginité comme sur une île déserte. Entourée de l'immensité de l'océan, avec la vue sur l'infini. Isolée, abandonnée mais inondée par les clartés du ciel et de la mer. Son horizon sans borne à elle, c'était son feu de cheminée, ses promenades au cimetière, son jardin qui ponctuait les saisons, enfin c'était également la splendeur mystérieuse du firmament au-dessus de son toit.
L'âme humaine n'est jamais faite tout d'un seul bloc. En réalité des nuances très subtiles, parfois contradictoires, constituent ces natures inattendues que nous sommes tous à divers degrés. Marguerite illustrait parfaitement cette vérité. D'autant mieux que les apparences les plus crues avaient facilement trompé les rares observateurs qui s'étaient penchés sur son cas. Ceux qui prétendaient connaître Marguerite la connaissaient fort mal. Ils faisaient vite une caricature de ce sujet d'une complexité insoupçonnée.
Elle songeait ainsi à son passé d'esseulée, de naufragée volontaire de l'amour, mais fut vite sortie de ses rêveries : la fièvre de sa féminité lui rappela l'urgence de sa situation. Elle voulut rebondir sur l'échec de sa première expédition amoureuse. L'incendie rongeait ses nerfs. Elle avait soif d'assauts virils et de flots de foutre ! Pour le lendemain, elle devrait preuve d'une incroyable audace si elle voulait devenir le réceptacle à mâles digne de son éternelle attente.
5 - SAILLIE PAR UN NÈGRE
Plus que jamais motivée dans ses desseins concupiscents, le matin suivant, alors qu'elle s'était rendue cette fois dans le parc de l'autre ville, là-bas un inconnu l'aborda de façon brutale, en un braillement irrespectueux à peine articulé, comme si un quadrupède beuglait sur une chamelle. Le cri d'un bourricot à l'adresse d'une bête de somme. Cet âne en gros sabots qui l'interpellait de la sorte était un Noir, ivre, débraillé, désinvolte, inquiétant... Mais néanmoins bien bâti, masculin, de moeurs faciles, susceptible de désaltérer la carne desséchée de l'affreuse esseulée. Entre ces deux bipèdes-là, tout commençait de toute évidence comme une idylle animalière. Pour la première fois dans sa longue vie de chasteté, elle recevait un signe d'intérêt de la part d'un représentant du sexe opposé. Certes ce soupirant était hagard, imbibé d'alcool et peu regardant sur la qualité de ses convoitises, mais peu importe, c'était un cerf, un producteur de semence, un arroseur de roses enfin. Marguerite se prenait toujours pour une oeuvre de choix, surtout avec ses artifices vestimentaires décadents et son maquillage chargé. L'Africain considérait toute femme blanche comme un trophée, qu'elle fût banale ou séduisante. Voire franchement repoussante. D'ailleurs quelle différence à ses yeux ? Une Blanche était une Blanche, c'est-à-dire un objet de valeur à conquérir, le symbole de la réussite sociale, la richesse ultime à acquérir lorsqu'on émigre vers l'Europe. Abruti par les brumes de la boisson, le prétendant envisageait d'accéder à une autre ivresse, plus intime, émoustillé à la vue de cette vieille pintade attifée comme une autruche de carnaval. Marguerite s'approcha du gaillard, se présenta en termes choisis comme une célibataire en quête de découverte amoureuse. Sur quoi l'ivrogne lui fit comprendre en quelques grognements significatifs qu'il était l'homme de la situation et, ouvrant sans façon sa braguette, en sortit une énorme, longue, massive verge turgescente ! Surprise, paniquée, émerveillée, suffoquant d'indignation tout en soupirant d'admiration, ne sachant que faire, elle demeura pétrifiée. Tout était arrivé si vite, sa vie de névrotique abstinente allait se dénouer si précipitamment, si grossièrement, si prosaïquement ! Mais après tout, n'était-elle pas venue se jeter dans la gueule de l'ogre pour cela, précisément ? Ce qui se passa dans le jardin public ce matin-là, au fond d'un fourré, fut à la hauteur d'un inimaginable roman, le pire de tous et le plus extraordinaire à la fois : celui de la vraie vie. Des ébats immondes et sublimes, salaces et poétiques, bestiaux et romantiques eurent lieu dans le secret des buissons.
Elle ramena cet amant improviste dans son foyer. Le tout premier luron à atterrir dans sa cellule de nonne. Elle lui fit faire ce voyage extraordinaire de la Terre du XXIème siècle jusqu'à sa bulle de recluse. Le congoïde, hilare et ravi de l'opportunité, réclama bientôt à manger. Trop heureuse de nourrir un affamé de sexe à la mesure de ses femelles appétits, elle lui proposa ce qu'elle avait de mieux : patates, pommes et pain. Le festin fut festif. A l'issue de ces triviales ripailles, les deux tourtereaux convinrent très solennellement à une durable et sérieuse union. Ce qui fut vite et bien fait, quoique rien ne prit un caractère officiel dans cette grave affaire car désormais il n'y avait plus de temps à perdre mais l'essentiel à rattraper. L'heure n'était plus aux artifices des sempiternelles séductions et mièvres promesses de fadaises, mais à la charnelle action. Les deux oiseaux s'étaient trouvés : l'un et l'autre avaient une égale avidité pour les graines de la luxure.
Leur envol vers les pics de l'impudeur et du mauvais goût s'annonçait fulgurant.
La débauchée fut présentée dès le lendemain à l'entourage du Nègre telle une prise de guerre conquise en terre blanche. Le triomphe de l'immigré fut total. Tous trouvèrent aimable, distinguée, solaire la laide et stupide femme. Pour la seule raison qu'elle était de race caucasienne. La renommée de l'exogène était faite : en séduisant cette Blanche-Neige il avait atteint le graal de tout exilé ciragé qui se respecte. En gagnant l'hymen de cette « beauté » laiteuse, l'enfant de Cham venait d'obtenir son diplôme de passage pour le paradis blanc.
C'est ainsi que, placée sur un piédestal inespéré, elle brillait autant qu'un caillou sur un tas de charbon. A travers le regard vainqueur du grand méchant loup qui l'avait étreinte, elle se sentait reine. Et trônait désormais non plus sur les toiles d'araignée sans mystère de sa maison mais sur un royaume de marécages flatteurs et d'égouts prometteurs. Un nouveau monde à explorer.
Elle entreprit donc de partir à l'aventure des sens sans plus tarder, la chair déjà bien avivée par les premiers orages de la veille...
Les jours suivants elle expérimenta donc les sommets les plus élevés de la sensualité. Mais aussi les gouffres puants du vice. Rien de ce qui en ce monde était censé incarner les « folies amoureuses » ne devait lui être étranger. Elle voulut goûter absolument à tout ce qui était connu dans le « palais de l'amour humain », à chaque étage. Des rats dégoûtants de la cave jusqu'à l'écume aérienne crachée par la cheminée. Du purin aux nuages. Elle passa ainsi sans nuance des plus poisseuses pesanteurs du corps aux plus sirupeuses légèretés intérieures, allant et venant dans la même journée entre les crudités de sa crapulerie et les puérilités de sa sensibilité. Elle s'adonna sans honte à toutes ses passions utérines autant qu'à ses fumées sentimentalistes. Ce fut une orgie de pratiques sexuelles fangeuses mêlées d'écoeurantes mièvreries romantiques. Le mélange improbable, outrancier et grotesque de la merde et de la guimauve. La niaiserie et l'infamie versées dans une même bassine de vulgarité.
6 - SAUVER LES APPARENCES
Après avoir sondé les tréfonds miasmatiques de la licence et du déshonneur, rassasiée de vins infernaux, la quêteuse de ténèbres voulut remonter dans les neiges de la respectabilité citadine. Et ce, afin de continuer à y afficher les blancheurs mensongères de son image publique. Complaire à son épicier équivalait pour elle à une sorte de rédemption. Le plus important était d'être dûment intronisée dans la boutique emblématique du boulevard où pouvait se reconnaître toute ménagère convenable. Cela suffisait, à ses yeux, pour garder la tête haute. Elle pouvait conserver ainsi des dehors honnêtes. Et même arborer des airs supérieurs.
Accompagnée de son chevalier à l'épiderme exotique qui lui tenait le bras comme le crève-la-faim s'agrippe furieusement à son gros pain acheté à la boulangerie du coin, elle se promena en ville en espérant secrètement éveiller l'envie auprès des mères de famille. Elle n'inspira que pitié et moqueries.
Elle devait avant tout, elle le croyait religieusement, attester devant chaque vitrine, chaque échoppe, chaque carrefour, qu'elle était restée intègre. Autrement dit, vieille pucelle.
Il fallait qu'elle arpente les trottoirs avec dignité en portant un masque persuasif. Un profil factice qui devait faire office de visage permanent. Bref, cyniquement au courant des rouages de la société, elle estimait que la reconnaissance dépendait directement de l'épaisseur de son vernis. Il lui suffisait d'insister sur ce seul point, rien ne pouvait être plus utile que l'exhibition de ses surfaces clinquantes. Ses profondeurs, elle les réservait à des causes exclusivement célestes. Une toute autre affaire... A revisiter en des circonstances plus congrues.
Mais revenons sur terre. Convaincre les éventuels incrédules avec des mirages éloquents revenait à gagner en toute légitimité une belle médaille à ce jeu universel de l'hypocrisie. Pourvu qu'elle goûtât aux effets bénéfiques de ce mensonge bien intentionné, la danse de ce bal tournait dans le bon sens.
L'entreprise manquait certes de noblesse, néanmoins le raisonnement sonnait juste.
(Á SUIVRE)