En ce jour pareil aux autres dans ce sommet de toutes les monotonies nommé
"Clinchamp", le Soleil brille par son effacement et la brume surnage
triomphalement au-dessus des hommes plongés dans leurs rêves fatalement plus
moroses qu'ailleurs.
Bienvenue au centre de la Terre ! C'est-à-dire, tout à la fois nulle part
dans le monde connu et au centre de n'importe quel désert.
Il faut dire que ce village gisant en toutes saisons sous les pieds terreux
de la Haute-Marne n'attire l'oeil de nul pigeon voyageur, fût-il chassé des feux
bruyants du lointain Paris et même du proche Chaumont... En effet, personne n'a
jamais eu l'idée de venir régner dans cet empire de vaches perdues et de sabots retrouvés.
Atterrir ici et y demeurer revient à rejoindre volontairement les statues
de plâtre et les cloches fêlées. C'est comme avoir une enclume dans l'aile ou
bien du plomb dans la plume et cesser de désirer voler plus haut que son
ombre.
A moins, et c'est exactement le cas des oiseaux de prix qui me ressemblent,
de cacher des idées éclatantes derrière la tête pour les faire fructifier hors
des fracas du siècle. Choisir de faire germer ses idéaux en ce lieu précis, cela
signifie préférer s'orienter vers le Nord poétique plutôt que vers celui, plus
borné, des boussoles.
Au pôle il n'y a qu'une impasse, tandis qu'ici, on découvre l'infini
imaginaire jusque derrière le cul des bovins.
Mais qui n'est pas armé pour l'éther, les hauteurs, la vie solitaire, les
vents et aventures aux antipodes des villes, ne peut accepter de s'enterrer dans
ce ciel loin du présent et de ses balises visibles.
Ce trou ultime consiste en un dépassement de soi. Seuls les corbeaux
d'envergure s'y plaisent. Ces âmes supérieures y trouvent de quoi se déployer
sans mesure.
Dans cet espace restreint s'étend l'essentiel des richesses nocturnes et
des légèretés de l'esprit... De là partent d'immenses champs de vagabondages
oniriques et fusent de vastes pensées nébuleuses !
Si on cherche bien, au fond de ce patelin sans issue apparente s'ouvre un
gouffre de sagesse virgilienne où l'on y perçoit des profondeurs intemporelles,
de fécondes ténèbres et de lumineuses mélancolies...
Les songes de rustauds y côtoient les mythes à portée d'esthètes. Là-bas le
paysan devient l'égal de l'astre. Et le visiteur voyage sans se lasser.
Bref, le quotidien en ce royaume anonyme que l'on croit fait d'ennui, en réalité resplendit chaque matin, chaque crépuscule, chaque nuit de l'année de
ses flammes intérieures.
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