(Texte d'après un tableau du peintre Aldéhy)
Le vieil homme regarde la mer, confortablement assis sur le mur, son poste
d'observation favori, heureux d'être depuis toujours là où le sort l'a
définitivement fixé.
Il embrasse le lointain de son regard paisible en soupirant de satisfaction
: il sait que jamais il ne se laissera emporter par le large, son coeur étant
bien trop solidement enraciné au plancher des vaches pour entreprendre une telle
folie ! Viscéralement dépendant de ses habitudes terriennes, il n'a pas du tout
le pied marin !
Sa routine est son plus cher port d'attache.
Il ignore l'appel des sirènes et préfère écouter le son rassurant de son
pot-au-feu qui mijote sur la cuisinière.
C'est un sédentaire, un adepte de l'oreiller et de l'édredon, un ami du
fauteuil et du coussin, un disciple ardent de la grasse matinée et de la tasse
de thé vespérale.
L'océan, les vagues, l'horizon plein d'oiseaux et de voiles le laissent
indifférent, voire l'effraient. Lui, il rêve de pantoufles et de bonnes soupes fumantes.
Il plaint les matelots, les plaisanciers, les aventuriers quittant leur foyer,
leur quotidien, leur sécurité pour affronter les flots infinis aux tempêtes
certaines, aux cours périlleux et aux arrivées imprévisibles.
Il se sent tellement mieux sur la terre ferme ! Là est sa véritable place
de bipède prudent.
Mais la journée se termine pour lui, le Soleil est sur le point de se coucher.
C'est l'heure du souper. Il se lève en repoussant d'un geste irrité les mouettes
qui le harcèlent.
Une fois son repas avalé au coin du feu, il jette un dernier coup d'oeil
par la fenêtre : dehors les eaux immenses et noires lui semblent comme un
gouffre de ténèbres sans borne...
Bien à l'abri derrière les murs de sa demeure, il voyage à sa manière.
En toute quiétude, sous son toit, étendu sur sa statique et moelleuse
monture faite de couvertures et de draps blancs, une bouillotte bien chaude à ses
pieds, il plonge dans un tout autre univers.
Son lit est son modeste mais vaillant vaisseau traversant les nuits.
Il s'envole ainsi chaque soir dans le monde doux du pur onirisme, s'évadant
jusqu'au petit matin vers les étoiles, aux antipodes du vaste déplaisir
maritime.
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