Comme chaque année je
serai seul à Noël.
Isolé, coupé de mes
semblables, loin de tout, sans personne pour célébrer cette nuit magique, sans
compagnie pour partager un repas délicieux et animé.
Seul dans le silence,
seul dans le froid, seul avec moi-même.
Et, comme chaque année,
en apprenant ma solitude, mon isolement, mon repas frugal, des natures
charitables me plaindront, se désoleront, se révolteront !
Mais il sera trop tard,
Noël sera passé. Le mal sera fait. L’injustice non réparée. L’offense
totale.
Et c’est exactement ce
que je souhaite !
Que l’on me foute une
paix royale en ce jour de recueillement.
Ces bons citoyens “au
grand coeur” qui se croient serviables, généreux, humains ne sont que de gros
abrutis, de communs dégénérés, des porcs impies et même des âmes dégueulasses
pour qui Noël n’est qu’une bacchanale à partager avec d’autres handicapés moraux
de leur espèce.
Les gens dans la misère,
ce sont eux.
Eux qui ont perdu tout
sens spirituel, réduisant dans leur pensée atrophiée, leur coeur corrompu, leurs
moeurs dénaturées de gloutons primaires le Noël sacré, propre et saint à une
stupide opération alimentaire et de communication avec les “mamies isolées”
comme ils disent avec tant de puérilité, et autres “personnes en situation de
détresse”... C’est à dire, en réalité, des esprits de qualité qui ont choisi de
passer un Noël d’ermite, un Noël de belle spiritualité, authentique,
délicieusement austère, aux antipodes de la sottise sociale et de ses impératifs
consuméristes.
Ceux qui s’attristent de me savoir ne pas passer la nuit de Noël sous des rires et des guirlandes sont
des misérables, des déshérités, des indigents intérieurs.
Pour les êtres
d’envergure, s’il y a un jour dans l’année où ils sont heureux de faire
abstinence de plaisirs profanes, soulagés de se retrouver enfin seuls, loin des
agitations vulgaires, rompant enfin avec les futilités relationnelles, c’est
bien le jour de Noël !
Mais ces ventres à deux
pattes sur le point de réveillonner sont incapables de comprendre une chose
aussi belle, simple et vraie.
Il leur faut des
artifices pour se sentir “être dans la fête”, ils ont besoin d’objets brillants,
de mots creux et de sourires clinquants. Ces ânes n’ont pas compris le sens
intime de Noël. Au lieu de se retrouver avec eux-mêmes ils se diluent dans
l’insignifiance des partages anodins et imbéciles de cadeaux sans valeur sacrale
qu’ils revendront dès le lendemain sur E-BAY.
Ces ogresques incarnations émues par ma “solitude”, prêtes à “m’aider”, promptes à m’inviter sous leur sapin, à me communiquer leurs joie en toc et à m’adresser leurs risettes frelatées sous prétexte que c’est Noël sont de gentilles brutes, de béotiennes sensibilités à la bonne volonté maladroite.
Une humanité de minables
dont il faut avoir pitié. Hermétiques à ma cause, dégradés par leurs habitudes
matérialistes, écrasés par leur sort de ruminants, anesthésiés par leur
existence horizontale, ces animaux sont dans l’incapacité de saisir ce qui
dépasse la hauteur de leur conifère clignotant à clochettes.
Moi j’aime la beauté des
nuits de Noël froides et paisibles, le mystère profond des étoiles au-dessus des
vieux clochers ou bien la tourmente des éléments, la morsure du gel sur mes
doigts, le charme d’une messe de minuit dans une petite église glacée où prient
avec sincérité des paysans modestes.
Et chantent des voix
humbles.
Pour moi la solitude et
le dépouillement des nuits de Noël sont de véritables bénédictions en ce siècle
de surabondances. Les personnalités éveillées de mon espèce recherchent cette
exquise, libératrice, fraiche âpreté des nuits de Noël.