Je suis un grand aristocrate de la petite province étriquée, un
serpent venimeux pétri de principes vertueux.
Egoïste, impatient, invivable, colérique, mes ailes noires et mes crocs acérés font de ma personne une chauve-souris ricaneuse. Ma canne frappe avec adresse et ma cape inspire l’effroi.
Egoïste, impatient, invivable, colérique, mes ailes noires et mes crocs acérés font de ma personne une chauve-souris ricaneuse. Ma canne frappe avec adresse et ma cape inspire l’effroi.
Mes plaisanteries sont féroces, mes signes d’amitiés mortifiants, mes gifles injustifiées et mes caresses écorchent comme des épines : chez moi tout est brûlant car tout est pur, brillant, anguleux, sec et vif tel un bloc de glace tranchant.
Sur mon front, la beauté des astres froids. Dans mon regard, l’éclat du silex. En mon coeur, la lumière émanant du givre.
Je fais peur aux enfants, peur aux hommes, peur aux femmes, peur aux loups.
Parce que l’immensité, la tempête, la fièvre et les tremblements embellissent ma vie de fleurs et de fracas, de chants et de ronces, je ne supporte que l’infini, la démesure, l’outrance. Et du sommet de mes certitudes de petit dieu imbu de sa grandeur, je châtie la petitesse, la timidité et la faiblesse sans distinction ni remords : roture, bonniches, valetaille. Cette espèce vulgaire connaît la saveur âpre de mon ire innée à son endroit.
Les rampants à mon service sont les destinataires privilégiés de mon plus cinglant mépris. Je paye leur servitude en monnaie de sang quand il le faut, c’est à dire systématiquement. J’ai en effet le bâton leste et le fouet facile à l’égard de cette engeance.
Mes pairs, les âmes d’envergure que je côtoie en d’illustres occasions, sont des gens de robe, d’esprit, d’art et de science. Impénétrables et distants, austères et mystérieux, ils projettent sur la Terre des ombres majestueuses et laissent dans leur sillage des souvenirs impérissables.
Je suis une cathédrale humaine voguant sur un océan de pensées magistrales et profondes, mais une cathédrale entourée de fourmis.
Que j’écrase à chacun de mes pas de géant.
Parce que j’incarne la glace, la pierre et le tonnerre, oui je fais peur aux enfants, peur aux hommes, peur aux femmes, peur aux loups...