Sarkozi veut rétablir et récompenser la "valeur travail" comme référence absolue dans la société française actuellement sous son régime, critère de vertu individuelle et collective, mais aussi plus traditionnellement, il est vrai, gage de bon fonctionnement de l'économie. Soit. Pourquoi pas ? Il faut bien de toute façon jeter les bases d'un système donné, celles-là ou d'autres... Le modèle sarkozien est une conception honorable de la bonne marche de la société.
A quelques aberrations près.
Comme si la pénibilité du travail était une valeur en soi et devait être respectée et rétribuée pour ce qu'elle est, indépendamment des bénéfices objectifs que produit cette pénibilité...
On peut fort bien se lever tôt, travailler dur et longtemps sur un projet parfaitement inutile à la communauté humaine et inversement se lever tard, travailler peu pour produire d'excellents fruits utiles à la société...
Selon ces nouvelles normes sarkoziennes un jardinier qui se lèvera tôt pour trimer dur mais finalement ne produire que des légumes de mauvaise qualité devrait être plus récompensé qu'un jardinier qui se lèvera à midi et s'épanouira dans son travail, le vivant comme un jeu et non comme une corvée professionnelle pour en fin de compte faire pousser d'excellents produits ?
L'essentiel, est-ce vraiment la sueur fournie par l'ouvrier lors de son labeur, le nombre d'heures passées courbées vers le sol à le cultiver, le fait que le travailleur se lève tôt, qu'il se prive, qu'il fasse preuve de courage, de sobriété, d'humilité dans son travail ou bien n'est-ce pas plutôt la qualité des fruits qu'il produit, indépendamment des conditions dans lesquelles il les aura produits ?
De même selon ces nouveaux critères un travailleur sobre et courageux qui s'échinera 12 heures par jour à repeindre les routes de France en rose ou à former des élèves astrologues-voyants devrait être plus considéré qu'un travailleur modéré qui fera pousser des patates de qualité supérieure ? En d'autres termes n'est-ce pas plutôt la qualité, l'utilité, la noblesse des fruits du travail qui devraient être récompensées et non pas la masse musculaire ou le nombre de neurones mis bêtement en action tant d'heures par jour ?
Travailler certes. Mais travailler pour être utile objectivement, effectivement, et non pour asseoir une légitimité de citoyen dont la vertu principale consisterait en sa capacité à se lever tôt pour aller mêler sa sueur à celle de ses semblables dans les grandes étables humaines de l'industrie de l'inutile.
En somme Sarkozi aimerait que chacun tire sa fierté non pas de sa réelle utilité pour soi-même, sa famille ou la collectivité mais d'une vitrine d'honorabilité que conférerait l'exercice en soi du travail rémunéré. C'est oublier que l'on peut être utile, indispensable à autrui sans nécessairement passer par le travail. De même, on peut être totalement inutile, voire nuisible aux autres tout en travaillant comme un nègre... Le plus bel exemple de cette infamie se trouve chez les travailleurs qui transpirent dans les usines d'armement militaire, courageux maillons rémunérés de l'industrie de mort et de destruction.
Comme si le fait de se consacrer à autre chose qu'au travail rémunéré était nécessairement un signe d'inutilité, une preuve de déchéance, une dévalorisation du citoyen... Ce que craint Sarkozi, ne serait-ce pas plutôt le danger que représente pour le système actuel (que je qualifierais de "pensée tout-économique") l'inactivité professionnelle, source de prétendue oisiveté débouchant en fait sur la très subversive et très anti-sarkozienne REFLEXION du citoyen ?