Aux jours les plus rigoureux de l'hiver, bien avant le lever du Soleil,
alors que je suis encore tout engourdi de sommeil, j'aime prendre des douches
glacées.
Je m'asperge de cette pluie d'épines en serrant les dents.
La morsure du jet contre mon corps encore amolli par les tiédeurs de mon
lit me réveille avec la brutalité d'un coup de fouet.
L'onde est cinglante.
Elle explose de joie contre ma peau de marbre et je rugis comme une bête
prise au piège. Sur le coup, mon sang ne fait qu'un tour, des sentiments ultimes de révolte m'assaillent, des pensées vengeresses me montent à la tête !
Je souffre, tremble, me crispe, gémis... Et pourtant je suis aux anges.
Heureux d'affronter la dureté extrême que je m'inflige à moi-même, de vaincre ma
peur, de résister à la tentation du confort, je me sens fort, digne, beau,
droit, grand, debout.
Grelotant mais plein d'éclat. Frissonnant mais vivant. Trempé mais
palpitant.
Je reçois avec virile allégresse la brûlure salutaire de cette flamme de
glace. Sa caresse aqueuse est féroce, ses baisers d'humidité sont
tranchants.
Le coup de couteau d'eau me lacère le dos, me serre le cou, oppresse ma
poitrine. Mais je ne suffoque pas pour autant : l'habitude de ce combat matinal
m'a rendu aussi olympien que l'aigle dans ses calmes hauteurs et je garde mon
souffle. Seule ma chair hurle sous cet orage réfrigérant. Cependant, aguerri
par la pratique assidue de ces averses gelées, je respire sans entrave.
Ainsi doté d'ailes, j'endure le bienfaisant tourment.
Agressé par ces lanières de froid qui me pétrifient, je deviens une statue
de givre.
Et je rayonne.
Je brille ainsi qu'une braise.
Le supplice dure encore une ou deux minutes avant que je ne quitte ce
glacial enfer.
Lorsque je sors de cette austère ablution, vivifié par le choc, régénéré
par l'épreuve, grandi par le courage, je ressens les moindres subtilités de
l'air, les plus délectables douceurs de l'aube, les précieux petits riens de l'existence, tous ces humbles trésors décuplés par le vertueux martyre des flots
frigorifiques.
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