Lorsque je sors de mon logis échoué au fond de la forêt, dès le seuil de ma
porte je me retrouve dans un immense cloître végétal.
Un océan de verdure m'encercle.
A partir de là, si je souhaite m'éloigner j'ai le choix entre dix ou vingt
chemins car je peux à ma guise tracer ma route n'importe où. Soit en empruntant
les quelques sentiers qui se présentent à moi, soit en improvisant une nouvelle
voie à travers les herbes folles.
Ici, il n'y a pas de normes figées. J'organise ma vie comme un sauvage, ou
plutôt comme une bête solitaire de la sylve qui se sait sans voisins et qui n'en
cherche point. Ce vaste tapis de chlorophylle que nul autre que moi ne vient
fouler m'agrée particulièrement. C'est mon aire de repos, mon refuge à l'ombre
des branches, mon terrain sans borne, mon vert univers.
Il m'arrive de passer des heures entières étendu sur ce gazon primitif,
recevant cette caresse de la nature en compensation aux rigueurs qu'elle
m'inflige. Après la glace de l'onde où je me baigne, le baiser de la pelouse...
Après l'écorchure des épines où je m'empêtre, l'étreinte des touffes... Après la
gifle de la ronce où je m'égare, les faveurs du pré...
Parfois le vent fait des vagues sur ce considérable lit de plantes et
doucement m'emporte jusque dans l'azur, tandis que je suis mollement endormi. Je
prends ainsi le grand large sans quitter le sol, sans bouger de mon coin perdu,
le temps d'un sommeil profond.
A mon réveil il fait légèrement plus frais. Je reprends mes esprits et,
encore un peu étourdi par mon voyage statique sur ce matelas verdoyant, je m'en
retourne alors à mon âtre pour y allumer le feu vespéral.
C'est là que mes nuits se peuplent, je crois, de rêves couleur
d'émeraude.