Le soir à l'automne, à l'heure où les ombres du ciel se mêlent aux brumes
de la terre pour former un crépuscule pétrifiant, vous entrez dans les bois
comme dans un tombeau.
Vous vous retrouvez seul en compagnie de milliers d'inconnus couverts d'écorce et aux visages
invisibles.
Les moindres branches dirigées vers le ciel ou vers le sol deviennent alors
pour vous des bras inquiétants, des silhouettes funèbres au-dessus de votre
tête, des promesses d'étreintes spectrales le long de votre trajet.
Et vous avancez sous ces ramures de marbre, le coeur oppressé. Votre
cauchemar s'étend jusque dans les profondeurs de la sylve que vous sentez de
plus en plus dense. Vous n'en voyez pas le bout. Vous cheminez toujours au
milieu de vos peurs, le souffle court, les yeux dans le noir.
Vous filez droit sans oser regarder franchement ce qui se passe autour de
vous, l'attention focalisée sur vos pas. Dans les ténèbres vous distinguez à
peine le sentier recouvert d'humus que foulent vos semelles. Vous ne cherchez
évidemment pas à quitter la voie rectiligne bordée d'arbres qui doit vous mener
jusqu'à la sortie de ce mauvais rêve.
Vous entendez des bruits, des sons mystérieux, des souffles indéfinis, des
chuchotements étranges, des paroles incompréhensibles... Vous vous croyez suivi
par des entités indistinctes, escorté par des fantômes, épié par des esprits...
Et soudain vous apercevez des formes subtiles derrière un tronc, vous tressautez
!
Vous vous figez face à quelques feuilles s'agitant près de votre épaule,
avant de reprendre votre progression, soulagé de n'avoir eu à affronter qu'un
inoffensif rameau, quelques brindilles ordinaires, deux ou trois tiges
anodines.
Après tant de frayeurs et d'épreuves, allez-vous enfin vous réveiller dans
votre lit, rassuré de n'avoir jamais vécu ce calvaire nocturne ? Non, vous êtes
bien dans la réalité, vous n'en doutez pas, et vous devrez traverser cet espace
sans fin, sans repos, sans lumière.
Et peut-être même sans issue...
A cette idée, vous devenez une bête traquée. Glacé d'effroi, vous perdez
toute logique, vos pensées s'emmêlent, vous approchez de la folie.
Fatigué, résigné, au bord du gouffre, vous avez froid et vous apprêtez à
vous étendre près d'une souche à attendre que le jour se lève, n'ayant plus le
courage ni de rebrousser chemin ni de le poursuivre. Vous vous pensez perdu dans
un univers sombre qui vient de vous engloutir. Il ne vous reste plus qu'à
endurer un siècle de patience pour arriver jusqu'au rivage libérateur du petit
matin.
Et c'est à ce moment précis qu'apparaît au loin, entre les derniers
branchages de cet océan végétal que vous venez de franchir sans vous en rendre
compte, la lueur de votre foyer.
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