A l'heure du repas de midi, je n'ai pas été seul.
Une intruse a pénétré la bulle à la fois sacrée et honnie de ma cellule.
Non il ne s'agissait pas d'une femme mais d'une mouche. Attirée par l'odeur de
mort ou bien d'abondante misère du contenu de ma gamelle : carottes à l'eau
accompagnées de semoule simple. Régime frugal bien mérité de gibier de potence
!
Bref, l'importune m'a d'abord tourné autour avant de se poser sur mon
festin de légumes. Au moins, ai-je pensé en la voyant se repaitre de l'opulence
de mon écuelle, cette mini merde volante vit libre, heureuse peut-être comme
peuvent l'être les moindres créatures de son espèce. Et on aurait même dit
qu'elle me narguait, une fois repue d'un infime fragment de ma tambouille,
satisfaite d'avoir impunément piétiné ma pitance avant de s'envoler vers la
liberté...
L'affreuse bête m'a immédiatement agacé.
Beaucoup à ma place auraient eu pitié de cette visiteuse de prison
impromptue. Ces mêmes condamnés face à cette situation auraient joué les bons
samaritains, accordant de grands sentiments et émettant de hautes pensées à
l'égard de cette piètre chose, tout en se prenant pour de nobles âmes et des esprits pétris de romantisme... Du fond de leur désespérante solitude, certains de ces
bandits se seraient volontiers ingéniés à composer des poèmes, j'en suis sûr, à
la gloire de cet insecte infâme venu infecter leur nourriture de ses germes
douteux.
Quelle classe !
Et ce, afin de bien montrer, tant à eux-mêmes qu'aux autres, que depuis
leur abîme moral (ayant eu pour conséquence de les amener, comme c'est mon cas,
à purger une longue peine), ils sont capables de faire preuve de prétendue
hauteur de vue, de sensibilité, de compassion, de conscience solaire à l'endroit
de ce minuscule diable ailé.
Comme pour tenter d'amoindrir leur crime, s'inventer une posture
d'humanisme carcéral, faire croire qu'ils sont sagement devenus des initiés
ayant compris le sens de la vie et servant d'estimables causes spirituelles...
S'ils ne s'étaient pas retrouvés en ce lieu
de pénitence, ils auraient soit chassé, soit aplati purement et simplement
n'importe quel ignoble diptère qui se serait aventuré à souiller leur
plat, au lieu de leur ouvrir leur coeur avec de ridicules déférences.
Aveu indirect de bassesse en réalité... S'ils avaient été de vraies natures
généreuses, ils auraient pas attendus d'être sous les barreaux pour honorer
cette écoeurante bestiole.
D'ailleurs, quelles que soient les circonstances, il faut être une foutue
saleté pour éprouver de la considération envers cette idolâtre des excréments
!
Moi je n'ai pas succombé à cette hypocrisie. Je suis demeuré humain sur ce
point. Non, je n’ai pas chanté d'hymne en hommage à cette hôte de ma pauvre
table de détenu.
Au contraire, je l’ai punie d’avoir osé poser ses sales pattes sur mes
aliments en se moquant de ma captivité de ses ailes vrombissantes.
De ma paume rageuse et vengeresse, je l’ai promptement ratatinée contre le
mur !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire