Un des plus vifs agréments dans mon existence de reclus aux moeurs
rétrogrades consiste à me promener tard le soir en forêt en m'éclairant avec ma
vieille lanterne. Juste pour le plaisir de me sentir totalement hors du monde
moderne.
Quel bonheur je ressens à m'enfoncer dans les ténèbres en tenant à la main
cette flamme sous verre ! J'effectue alors un voyage poétique dans les
profondeurs d'un XIXième siècle délicieusement suranné. Nul besoin d'aller trop
loin d'ailleurs, quelques pas suffisent pour que je pénètre au coeur de cet
espace anachronique si cher à mon âme d'exilé...
Je traverse cet univers d'un autre temps avec la lenteur de la Lune.
Et sous mon regard archaïque tout devient plus essentiel. Des papillons noctambules viennent se cogner à mon fanal, ils sont mes compagnons nocturnes.
Je chemine au rythme prudent de mes pensées poussiéreuses, comme si au fil de
ma marche j'ouvrais un livre de fables. J'entre peu à peu dans une réalité
sobre, rude, antique.
Il n'y a plus que les arbres qui m'importent, le silence, ma chandelle, l'immensité des
ombres et le vertige de cette odyssée à échelle de mes sabots, à hauteur de mon
chapeau, à portée de ma vue... Là se trouve ma joie âpre.
La lueur de ma lampe me projette dans des âges révolus, m'entraîne dans des
chemins mythiques, m'emporte vers des horizons que nul ne voit plus aujourd'hui.
Je vis à l'heure des légendes, à la lumière de la bougie, à la mesure de mes rêves.
Toutes ces choses précieuses qui n'ont plus cours dans les villes.
Je retourne dans un passé lourd, épais, rustique et pourtant si lumineux ! Je ne suis pas pressé, j'avance à la vitesse d'un l'homme portant des semelles de bois, non à la cadence des machines électriques. Et je vais ainsi jusqu'au bout de mon royaume. En atteignant mes sommets étoilés, je me sens l'égal d'un roi.
Avec mon humble flambeau dans la nuit, je me transforme en explorateur des jours anciens. Je vagabonde dans les ères éteintes afin de les rallumer rien que pour moi, pas après pas.