Je connais le secret des horloges.
Ce sont les gardiennes de nos jours mortels, de nos pensées arrêtées, de
nos rêves figés : pendant que cheminent leurs aiguilles fatidiques, nous les
fixons en regrettant nos vies monotones, en ressassant nos rendez-vous ratés, en
méditant sur la pluie qui tombe ou sur les dimanches d'ennui qui s'étirent,
interminables.
Nous avons tous sous nos toits des cadrans qui nous observent de leur face
impassible, et que nous croyons sans âme. Quelle erreur !
En réalité, ces confuses présences respirent à chaque instant, à notre insu, sous leur
carcasse de métal et leur visage de mystère.
Je viens de percevoir cette insoupçonnable étincelle à travers leurs
palpitations mécaniques.
Leurs savants engrenages en disent long sur ce qu'elles nous cachent.
Je sais désormais que la pendule accrochée au mur de ma chambre est
vivante, que son coeur bat du matin au soir, et que la nuit elle veille encore,
tandis que je dors.
Sa trotteuse infatigable marche à pas saccadés comme un insecte de
fer.
Petit à petit, elle compte les minutes de mon destin sans jamais se lasser.
Et dans sa course raisonnée, n'en perd pas une seule. Réglée avec minutie selon
l'autorité cosmique, soixante fois de suite à chaque plombe qui passe,
humblement mais sûrement elle recommence sa route. Tout en en retranchant à mon
existence, proportionnellement à sa progression.
Bref, le temps tourne en rond dans sa tête.
Et dévore tout.
Elle engrange les heures, inexorablement. Et restitue en permanence le vide
d'un passé qui s'évanouit au rythme de ses tic-tac. Elle creuse un gouffre de
néant tout en se dirigeant vers un horizon débordant d'avenir.
Futur qui sera, lui aussi, condamné à mort. D'un coup sec. D'une seule
saccade, seconde après seconde. Sans retour en arrière possible. Telle est la
loi de ses rotations.
Perdue dans ses immuables calculs chronologiques, elle patiente au-dessus de mon lit, l'air de rien. En vérité, elle regarde
s'écouler l'éternité.
Et me tue à petit feu.
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