Je ne suis pas de ce monde fade et flasque et n'adhère nullement aux
mollesses de ce siècle édulcoré qui m'a pourtant fait naître. Un ordre social
que j'ai immédiatement rejeté, que je méprise plus que jamais aujourd'hui et qui
se nomme "république".
Je ne me sens pas chez moi sur cette terre infâme aux couleurs régicides,
égalitaristes, universalistes.
Sous une forme rêvée, idéale et intemporelle, je me sais enfant royal, fils
céleste, ami des étoiles et frère des hommes de rang divin.
J'ai vu le jour sous un autre ciel et ai hérité d'une mentalité lumineuse :
je suis le fruit intact de ces âges révolus où la pensée était saine, claire et
simple et où la justice avait l'éclat tranchant des vérités de feu.
J'ai gardé la nostalgie de cette société radicale où la force, la hardiesse
et la fracassante virilité concourraient au développement de la vertu.
La quête du sublime était la norme, la mort une banalité.
Et la souffrance, une formalité de la vie.
Bref, je coule une existence de reclus, loin des mensonges de cette triste
civilisation, dans l'ombre paisible de mon château. Isolé de tout mais heureux,
quoique souvent livré à l'oisiveté, je demeure accroché à mes valeurs sacrées,
périmées aux yeux de mes contemporains, et en solitaire poursuis mon chemin de
gloire, plein de folie et de vaillance.
Je ne m'occupe guère des règles et impératifs de ce temps qui n'est pas le
mien. Pour cette seule raison, que personnellement je trouve fort mesquine, peu
de gens parmi mes rares visiteurs m'apprécient, mais je suis habitué à morguer
cette gueusaille. Je ne me chauffe point contre de si piètres choses... Ce qui
m'enflamme bien plus profitablement, c'est de châtier mes jeunes bonniches. Sous
couvert de quelconques broutilles, il me plaît à corriger ces sottes filles
!
Je m'amuse à leur fouetter le dos.
Jusqu'au sang évidemment, sinon cette salutaire gymnastique que je m'impose
ne me serait pas bénéfique... Il en va ici de ma forme physique comme de ma
santé mentale. Non seulement cet exercice sur mes servantes me permet
d'entretenir mes muscles vieillissants, mais en plus leurs larmes me consolent
de mes longs lundis d'ennui. Ces heures, brèves mais précieuses, mettent du
baume à mes souvenirs douloureux car il faut savoir que dans ma jeunesse je
souffris de la perte de mes rats apprivoisés.
A ma table je consens à faire venir de mondaines châtelaines aguerries ou
d'appétissants tendrons à l'âme candide, à conditions qu'elles paient de leur
chair blanche le repas que je leur offre si généreusement.
Quant aux quémandeurs de toutes espèces, je leur destine les pires
outrages, je leur crache au front, les rudoie sans remords, les bastonne de bois
vert avant de les chasser de mon salon à coups de bottes aux fesses et de
cravache au visage !
En effet, je pratique l'équitation.
Mais revenons à nos moutons.
La brûlure des lanières pour mes chambrières. La flamme charnelle pour mes
convives. Le cuir de mes semelles et la gifle de ma badine pour les pouilleux.
On me surnomme le "seigneur cinglant".