Contrairement aux rares insectes qui me rendent parfois visite, les rats ne
peuvent bénéficier de l'hospitalité de cette prison moderne. J'aurais tellement
apprécié leur amitié vorace, tant voulu partager avec eux quelques miettes de ma
réclusion... Mais ils sont bien trop gros et surtout impopulaires pour être
admis par l'administration pénitentiaire au sein de la population incarcérée.
Les geôles primitives des siècles passés avaient au moins l'avantage
d'accueillir l'exquise gent ratière. Ce peuple de la poussière formait le
meilleur entourage des esthètes enchaînés. Heureusement, il me reste la
compagnie des rêves pour me distraire et tenir mes pensées au chaud.
Je m'endors toujours avec le souhait de faire de fabuleuses rencontres lors
de mon sommeil, ce qui n'est pas systématiquement le cas. L'évasion nocturne
peut aussi déboucher, selon les aléas oniriques, sur de funestes marécages. Mais
en règle générale, je passe de bons moments dans mes prairies immatérielles,
hors de la lourde réalité carcérale.
Que ces espaces virtuels soient composés de vastes champs de fleurs, de
mystérieux horizons de brumes, d'indéfinissables recoins de l'inconnu,
d'étranges dimensions de l'invisible, de pures immensités azurées ou même de
profondeurs informes plus ou moins sombres, peu importe : ils ont la vertu
d'élargir mon univers et de briser ma solitude. Ils m'éloignent des barreaux, me
font quitter ma cellule, m'emportent loin des murs qui me retiennent dans mon
malheur quotidien, ne serait-ce que le temps d'une petite éternité de
léthargie.
Ces voyages de l'esprit vers des mondes légers et sans borne me consolent
de ne pas sentir contre ma peau les frôlements de ces quadrupèdes furtifs que
j'aime follement... Je comble l'absence de ces rongeurs dans ma cage
humaine en me focalisant sur les flammes qui brillent dans ma tête.
Ma vie s'enrichit ainsi de nouvelles aventures intérieures. Je me sens si
seul dans ces neuf mètres carrés de pénitence... Qu’elle vienne du sol, de mon
âme ou du plafond, paraisse banale ou fantastique, prosaïque ou
poétique, je saisis la moindre occasion d’envol !
Que se soit sur le dos des grignoteurs de déchets ou sur les ailes des
chimères de la nuit, la fuite pour moi est essentiellement la même : j'ai besoin
de prendre le large.
Rêves et rats se valent à mes yeux : les deux m'emmènent vers les plus lointaines hauteurs.
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