Je n'ai pas vu le siècle passer.
Du fond de ma cellule cela fait déjà longtemps que le monde s'est arrêté
pour moi. Et les décennies se sont additionnées pour consumer ma vie entière.
Quarante années se sont écoulées depuis que je suis enfermé entre les quatre
murs de ce purgatoire miniature. Pour un humain, cela équivaut à mille
ans.
En effet, après un certain temps à croupir derrière les barreaux, et
surtout lorsqu'on sait que l'on y demeurera pour toujours, il n'y a plus de
différence entre une semaine et un mois, une feuille et un arbre, une plume et
une aile, un jour et une éternité : tout se confond dans un seul et même bloc
compact. Petites et grandes choses y sont mêlées sans distance. Mon destin est
ramassé là, en un point étroit, limité, strict, au coeur de cette geôle qui
constitue mon univers de condamné.
Ce trou est mon port final.
J'y suis devenu vieux presque sans m'en rendre compte. De la même manière
qu'en entrant jeune dans cet espace de neuf mètres carrés, la situation me
paraissait déjà terriblement irréelle. Je n'avais pas totalement conscience de
l'énormité de cette réalité à affronter, tant ce sort me semblait humainement
inconcevable.
A cette époque ce cauchemar éveillé que je vivais restait encore une
abstraction à mes yeux. J'avais certes les pieds concrètement scellés dans le
plomb de l'irrévocable réclusion, mais pas l'âme : elle se rebellait, se
détachait de ces insupportables pesanteurs, fuyait le réel. En un mot, je n'y
croyais pas. Je n'imaginais pas vraiment pouvoir traverser l'océan de cette
perpétuité aussi impensable que lamentable. L'odyssée d'un malheur, en somme. Je
ne voyais pas le bout d'un tel chemin, pourtant aujourd'hui je l'ai parcouru
quasiment du début au terme.
Et je n'en reviens pas.
J'ai sacrifié mon existence emmuré ici, en pénitence de mon crime. Et
j'arrive en fin de course. Est-ce donc possible que je sois parvenu si loin ? Ma
peau flétrie et mes traits creusés parlent pour moi, je ne rêve pas. Je me
regarde dans la glace et je réalise que tout est vrai. Je n'ai pas quitté mon
antre, cette pièce de captivité définitive qui fait office de tombeau et dans
laquelle sont disposés ma table, ma chaise, mon lit, mon lavabo,
immuables.
Cet exploit pitoyable, je l'ai accompli !
C'est comme si j'avais réussi la prouesse d'aller jusque sur la Lune. Une
aventure impossible, inimaginable, en apparence irréalisable. Cependant les
faits sont là : j'ai décroché le lot ultime.
Sauf qu'au lieu de conquérir un sommet, j'ai exploré un gouffre.
Je commence à apercevoir l'issue de ma peine. La mort approche à pas
résolus et je l'attends, encore un peu incrédule. Tout sera bientôt payé
jusqu'au dernier centime, à l'heure suprême.
Ma vieillesse sera peut-être ma nuit de feu.
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