Quarante années d'enfermement. Plus de quatorze-mille jours que je suis emmuré. Ma
solitude m'a habitué à moi-même plus que de raison et je vois ma propre ombre
comme une seconde personne. Et cette silhouette immatérielle s'éloigne parfois de moi... Elle se transforme en un
étranger qui me ressemble et que j'observe avec distance, voire méfiance. Elle
s'échappe ainsi de ma réalité avant de revenir vers moi avec un visage semblable
à ceux des rêves. Et je ne comprends plus rien, je perds pieds, je chancelle
dans ce trou de neuf mètres carrés, seul face à la folie. Et je m'évade progressivement, assommé de tempêtes intérieures et de fumées imaginaires.
Je pars dans un univers que je ne puis nommer.
Je me retrouve hors du monde, la tête dans un espace aussi lointain
qu'impalpable, les semelles bien posées sur le sol de ma cellule cependant...
Je ne parviens plus à distinguer les murs de ma geôle des limites de mes
pas dans l'ailleurs. Je crois marcher par-delà les barrières qui m'encerclent
mais je ne fais que m'enfoncer dans des délires vertigineux.
J'entends la porte de mon enfer qui s'ouvre, c'est le gardien qui m'apporte
un verre d'espoir. Je le bois à pleines gorgées. Avant que je ne puisse le
remercier, il y ajoute la glace de son regard pour mieux rafraîchir la flamme
offerte. Les symboles se mêlent au concret et cela trouble ma vue et agite ma
vie. L'eau, le feu, la nuit et la lumière, tout se confond au fond du récipient
qu'il me tend. La clé tourne dans la serrure, les heures sont pareilles à des
vagues et le temps s'écoule sous ce ciel éclairé électriquement où je
m'éternise... Je m'étends sur le lit, les yeux ouverts, le coeur entre
gouffre et nues.
Je m'envole dans mon vide, virevolte dans ma fuite, tourbillonne dans mon
antre, attendant follement que tout finisse. Ou peut-être que tout débute. J'ai l'impression de faire entrer de vieilles connaissances dans la pièce, des gens dont j'ai depuis longtemps oublié les noms... A moins que ce ne soient des intrus qui pénètrent chez moi sans y être invités ? Mes repères se brouillent. Qui donc franchit le seuil de ma demeure ? La mort et l'horizon frappent chacun leur tour aux
barreaux, et par la fenêtre j'aperçois des oiseaux volant en direction des mots
que j'étale sur ma feuille de papier, alors que que j'écris ces présentes
lignes...
D'un côté je sens que des ailes me propulsent vers les hauteurs, tandis que
de l'autre côté, du plomb me maintient encore à mes certitudes rationnelles de
mortel.
Mes pensées n'ont plus de sens, les visions remplacent les choses réelles
et je ne sais pas davantage qui je suis devenu aujourd'hui... Maintenant le silence règne. L'esprit change avec la paix qui revient. Le
vent se calme, la loi des âmes est partout la même.
Il est bientôt minuit et le sommeil commence enfin à m'emporter à l'écart
des braises et des cendres de la journée.
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