Je croise rarement les autres détenus.
Même lors des moindres occasions où il me serait possible de les côtoyer
intimement, je préfère les éviter. Loin de considérer cette faune carcérale
comme une idéale compagnie, je la rejette franchement. Ne trouvant pas du tout à
mon goût cette engeance peu reluisante, je me tourne plus volontiers vers mes
geôliers avec qui je m'entends bien mieux.
Plus froids mais plus fiables, moins
causants mais toujours intègres, leur dureté n'est jamais feinte et leur coeur
de fer a l'avantage d'être demeuré droit. A mes yeux mes gardiens valent
infiniment mieux que ces criminels pleins d'orgueil qui se prétendent leurs
égaux.
En vérité ces piètres frères d'infortune m'inspirent autant de mépris que
l'acte qui m'a conduit à partager cet enfer avec eux. Je sais que cela ne reflète guère la norme dans un tel lieu et je me doute bien que je dois être un cas exceptionnel, mais je
ne ressens aucune fraternité envers cette population d'écroués dont je fait
pourtant partie moi aussi.
Au nom de quelle cause impérieuse devrais-je donc éprouver de la compassion
à l'égard de ces oiseaux de malheur si toxique pour une société ordonnée et si haïssables pour les honnêtes humains qui la composent qu'on a dû les priver de liberté afin de les rendre inoffensifs ?
Non, je ne plaiderais nullement en faveur des bandits et ne ferais pas davantage le procès des âmes vertueuses ainsi que c'est généralement l'habitude chez les esprits tordus qui se prennent pour les véritables justiciers du monde. Ces derniers, adeptes de l'impénitence et de l'inversion des valeurs, avancent tous les arguments imaginables pour défendre l'idée aberrante que la vraie justice se situe de l'autre côté de la morale officielle... Sauf que lorsqu'on tue, braque ou viole, il ne reste aux coupables que le Diable pour unique avocat.
Le mutisme du béton et la glace des matons me semblent encore plus
essentiels que la chaleur pitoyable de ces déplumés.
Moi aussi je souffre. La solitude me pèse pareillement. Mais c'est la
règle du jeu et elle est la même pour tous les prisonniers que nous sommes. Nous
avons joué, nous avons perdu, nous avons été incarcérés. Je ne leur dois rien de
particulier, et certainement pas mes sentiments distingués sous prétexte que
nous mangeons la commune pitance de gibier de potence !
Je fais définitivement bande à part.
Ma route s'oppose à la leur : ils espèrent tous prendre la prochaine porte
de sortie qui se présentera à eux, alors que moi je ne veux m'engager que dans
la voie digne de ma hauteur : ma seule direction sera celle de la radicale
verticalité. Entre le zéro et l'infini, je ne transige pas.
Je vise l'ascension la plus difficile.
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