Elles m'entraînent dans leur course fatidique à chacun de leur pas.
Minuscules, insidieuses, quasi invisibles mais redoutables, les secondes emportent tout sur leur passage, une à une, petit à petit, sournoisement. On les croit faibles, insignifiantes, inoffensives, en réalité se sont de vraies fourmis de feu ! Elles envahissent tout à notre insu, affrontant l'immensité sans reculer.
On ne se méfie jamais assez de ces humbles marcheuses : l'une après l'autre, elles progressent minutieusement vers leur but, implacables.
Au fil du temps -cette véritable montagne séculaire qu'elles conquièrent sans se presser- ces gouttes éphémères forment de vastes fleuves.
Sans m'en apercevoir vraiment, je chemine du matin jusqu'au soir en compagnie de ces modestes passantes de l'existence. Et mine de rien, je finis par parcourir des milliers de jours à leurs côtés. Avec elles, l'instant qui s'ajoute à de multiples autres instants se transforme patiemment en un lustre entier !
Puis en une décennie, en vingt ans, en un siècle...
Dans ma cellule je ne vois pas passer ces infimes durées. Elles me glissent entre les doigts comme un sable trop fin, tant je me focalise prioritairement sur leurs grandes soeurs les heures... En effet, je trouve ces dernières beaucoup plus plombées et austères... Au moins je prends ces ogresses dévoreuses de cadrans au sérieux : elles s'affichent de manière plus crédibles dans ma longue vie de détenu. Elles s'écoulent moins vite et j'ai le loisir de les voir défiler douze fois au quotidien, voire davantage si je ne dors pas la nuit. C'est là leur avantage et même leur raison d'être au sein de l'univers carcéral. Elles sont chargées, lentes, écrasantes. Omniprésentes dans leurs apparences de plomb, je ne les oublie pas de sitôt.
Tandis que les miettes de silence qui ne durent guère s'envolent à peine nées.
Pourtant ces menues trotteuses, pour légères qu'elles paraissent, tournent bel et bien autour de moi soixante fois par minute pour mieux m'emballer une fois leur journée terminée !
Même si ces deux modes temporels m'enchaînent à leurs lois souveraines selon leurs mesures respectives, je préfère la marche des secondes à la stagnation des heures : dans le bref sillage des poussières de Chronos, mes fers trop lourds de taulard deviennent des plumes.
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