L'univers de ma cellule se résume certes à un espace très étroit, fort
restreint, extrêmement limité. Cela ne m'empêche nullement d'en explorer les
minuscules recoins ni d'en imaginer les plus fabuleux horizons. Depuis ma
permanente position statique, j'ai un angle de vue acéré et durable sur les
moindres choses. Et mon regard se pose progressivement sur les détails de ce qui
m'entoure, tantôt contemplatif, tantôt rationnel.
Une vie entière ne suffirait pas, en vérité, à entreprendre un voyage
complet entre les quatre murs qui m'encerclent. Mon monde de reclus est triste,
il est vrai. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'est pas riche. Bien au
contraire, il se révèle d'une variété sans fin pour qui se focalise patiemment
sur les plus petites parties qui le composent. Mais également lorsqu'il est
considéré sous ses multiples aspects : directement visuels ou purement
abstraits, grossiers ou subtils, franchement tangibles ou beaucoup
moins évidents...
Moins il a d'objets à observer, de supports pour y faire courir ses
pensées, de surfaces apparentes pour y faciliter son évasion intérieure, plus
l'esprit cherche des points d'appui, paradoxalement. Et il se contente de peu
pour être comblé.
Sur des miettes, des poussières, des bêtises de toutes sortes il trouve
finalement des trésors sur lesquels s'accrocher, rêver, partir très loin.
L'imagination humaine s'emballe plus facilement dans le dépouillement matériel
et découvre des infinis à travers trois fois rien.
Ainsi une écaille de peinture tombée sur le sol peut m'emmener dans les
méandres de ses imperceptibles étendues, véritables montagnes et vallées à
échelle d'une bactérie. Ou une simple feuille d'arbre qui entre par la fenêtre
peut devenir un sujet d'étude minutieuse, un puits brut de sciences naturelles
où m'abreuver intellectuellement, mais aussi un terrain d’aventure miniature sur
lequel je choisis de cheminer durant des heures, comme si j'étais une fourmi.
Là où dans un contexte ordinaire l'homme en liberté ne verrait que du vide,
des artifices puérils, des misères dénuées d'intérêt, ici enfermé pour toujours
dans une geôle, le condamné à perpétuité a tout son temps et toute son attention
pour percevoir mille étoiles éclatantes, plus encore d'ombres secrètes et autant
d'autres surprises prodigieuses parfaitement inattendues... Et ceci, dans chaque
parcelle de son trou infâme... A ces sources inépuisables d'étonnement il se
perd, s'émerveille et, pris au jeu des folies de son cerveau, il s'envole
bientôt.
Bien entendu de telles plongées fulgurantes vers ces royaumes de légèreté
et de profondeurs ne fonctionnent véritablement que lorsque son état mental y
est disposé, entre ses jours glacés de déprime et ses nuits enflammées
d'insomnie. Et encore faut-il que le détenu prenne la peine de se pencher avec
assez de curiosité sur les éléments dérisoires de sa cage.
Ce qui est mon cas.
Au sein de cette sobre pièce où je demeurerai jusqu'à mon souffle ultime,
je fais le tour incessant de la Création.
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