Tandis que je suis parvenu à l'âge mûr, des forteresses semblent
s'effondrer autour de moi.
Ma pensée n'est plus du tout la même.
Ayant passé près de la moitié de ma vie sous les barreaux, mes certitudes
rationnelles ont finit par radicalement changer. Après avoir parcouru tant de
chemin dans la misère de mes jours de réclusion pleine de vide et de solitude,
je peux dire que j'ai atteint un ailleurs insoupçonnable.
Une sorte de sommet depuis lequel je puis toucher une autre vérité, plus
subtile, plus pénétrante, plus perturbante aussi.
C'est ainsi que la précédente nuit j'ai encore vu une silhouette noire se
tenir debout dans un coin de mon antre de criminel en pénitence. Elle me faisait
face en silence sans bouger. Je n'ai éprouvé nulle peur, simplement une grande
curiosité. Ses traits demeuraient indistincts mais je devinais qu'ils
ressemblaient à ceux d'un seigneur, d'une haute figure de l'Histoire, d'un
représentant de la noblesse révolue ou bien d'un moine des temps anciens.
Que faisait-il donc là à me fixer de son regard de marbre ?
Etant depuis si longtemps à l'écoute des moindres signes, des éventuelles
présences, des possibles messagers ou de n'importe quels phénomènes
inexplicables pouvant apparaître entre ces murs carcéraux qui déterminent toute
mon existence terrestre, j'ai aujourd'hui la totale conscience qu'un monde
différent s'est progressivement ouvert à moi.
Venues du visible comme du caché, exprimant le rêve ou la mort, issues de
l'ombre ou de la lumière, ces natures immatérielles se manifestent à moi sous
diverses formes et avec une clarté croissante.
Je perçois désormais ces prodiges sans aucune ambigüité. Ils sont aussi
éclatants que des soleils, aussi vrais que des visages, aussi fracassants que
des tempêtes.
J'ignore si tel est également le cas pour les autres détenus condamnés à de
longues peines, mais je crois que ma sensibilité s'est exacerbée dans cet espace
restreint de ma geôle, au point de percer le voile de l'ordinaire.
A force d'être reclus dans l'univers étriqué de mes neuf mètres carrés,
j'ai accédé à ces réalités auxquelles je ne comprends rien mais qui existent
cependant, puisque j'en suis si souvent témoin.
Je sais que personne ne me croira. Mais quelle importance ? Toutes ces choses
se passent dans la minuscule pièce où, au bout de mon parcours, je vais devoir
mourir.
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