Je la vois, entourée de ses cases à légumes, auréolée de son charme béotien, éclatante comme un jour de fête avec ses traits clairs et son air de sauvageonne...
Et je tremble, je bous, je défaille, et je lui commande des endives sans nulle envie d'endives, des avocats sans aucun désir d'avocat.
Mais avec la soif de ses yeux, la fièvre pour ses lèvres, et je lui adresse des flammes en guise de mots.
Elle me sert et lorsqu'elle me demande si je préfère des avocats pour aujourd'hui ou pour plus tard, c'est-à-dire des bien mûrs ou des plus verts, je lui réponds par un rire irrépressible : je suis ému, si faible et si enivré devant cette Vénus des classes moyennes -qui aurait dû me laisser de pierre, voire ostensiblement méprisant-, que je réagis avec cette hilarité inattendue qui me surprend moi-même.
Elle est loin de mon azur choisi, aux antipodes de mon olympe d'esthète féroce, à l'opposé de mes feux poétiques et pourtant je ne puis demeurer insensible aux attraits profanes de cette fille de peu faite d'eau simple et de glaise commune.
Et après avoir payé je pars comme un voleur, l'âme pleine de ciel, mon panier chargé de quatre endives et de deux avocats - bien mûrs - , le regard comblé par la vision de cette fée vulgaire qui endimanche ma journée de son sourire commercial mais néanmoins charmeur.
Et je poursuis mon chemin sans oser me retourner sur la maraîchère en espérant la revoir dans cinq jours, pour le prochain marché, plus déterminé que jamais à lui confesser mon secret, lui avouer la raison de mes systématiques achats chez elle, lui dévoiler cet incendie qui couve sous mes apparences glaciales.
Et, surtout plus lâche que jamais, pour y renoncer au tout dernier moment comme ce fut le cas aujourd'hui encore pour la dixième fois et ainsi faire durer mon supplice cinq jours supplémentaires...
VOIR LA VIDEO :
https://youtu.be/LyeUSJ8BBgc
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