Au marché des Jacobins, trois fois par semaine je vois
ce sempiternel romano exercer avec zèle sa vile activité de mendicité.
L’air étrangement narquois, l’oeil affûté, la sébile leste, le pas
alerte, il vole de passant en passant en les sollicitant avec insistance. Rares
sont les importunés qui laissent une piécette à ce rat du pavé pour s’en
débarrasser... La plupart l’ignorent purement et simplement ou lui adressent un
refus catégorique appuyé d’un regard plein de mépris.
En effet, avec ses allures douteuses, sa mine de rongeur, son attitude de
parasite affairé, il ressemble à un ignoble ragondin tournant autour d’une
assemblée de cygnes.
En observant son manège et en scrutant son faciès malhonnête, je sens chez lui
cette fièvre pour le gain illicite. J’ai l’impression que tout en tentant de
soutirer quelques centimes à ses proies, il attend la moindre occasion pour les
dépouiller à leur insu, d’une manière ou d’une autre.
Et toujours ce rictus sardonique sur son museau de fureteur de détritus...
Et je me demande alors en voyant ce pouilleux si misérable, si immonde, si
détestable, s’il se respecte encore... S’il est encore accessible aux sentiments
élevés qui caractérisent les êtres de notre race.
Je m’interroge sur la capacité de ce répugnant rampant, de ce
puant quadrupède à redevenir un homme.
Et moi avec ma touchante candeur et mon comique idéalisme, malgré tout je
cherche en lui sa part de lumière. Je tente de percevoir chez cette bête indigne
un peu d’humanité. Je m’évertue à découvrir une âme claire sous ces haillons
moraux et ces apparences de fouineur des égouts...
Alors, maudissant mes préjugés de nanti embourgeoisé et tout en demandant
pardon au Ciel pour mes pensées médisantes à l’égard de ce pauvre diable, dans
un fol élan d’authentique altruisme je vais vers ce romanichel pour me présenter à lui
sans malice.
Et lui parler avec sincérité, engager avec lui un dialogue sain, franc,
généreux, le coeur ouvert, la foi inébranlable, parce que finalement je crois en
ce Rom, je crois en Dieu, je crois au progrès des civilisations, des peuples,
des individus, de moi-même...
Dans ce moment de vérité j’aimerais qu’il me voie, lui aussi, de manière
désintéressée et qu’il me salue non comme un portefeuille ambulant à alléger
mais comme un ami, un frère humain, un égal compatissant, un semblable à
l’écoute, une aile bienveillante.
Mais je ne trouve devant moi qu’un indécrassable nuisible incapable de
fraternité, hermétique aux pensées nobles et nullement soucieux des causes
supérieures !
Il semble ne rien comprendre à ma démarche ou alors il fait semblant
!
Soit stupide, soit pervers, soit les deux à la fois, toujours
est-il qu’avec sa trogne caustique il continue sa mauvaise comédie, la main
tendue, les yeux suppliants, le coeur plein d’ordures.
Sa plus impérieuse aspiration se résumant, de toute évidence, non pas à
vivre proprement, non pas à faire partie de l’Humanité
glorieuse mais à extorquer quelques miettes imméritées à son prochain par tous les
moyens, quel qu’en soit le prix. En y sacrifiant même son dernier honneur, sans
aucun remords.
Et cela, pour mieux alimenter sa bassesse, entretenir sa souillure, se
vautrer dans ses péchés...
Pitoyable maraudeur surgi de la fange que je croise désormais avec plus de
dégoût que jamais !
Je n’ai qu’un rêve, qu’un souhait, qu’un espoir, radical mais rédempteur,
pour cette incarnation du vice et de la saleté qui fait honte aux
bipèdes congrus que nous sommes : réhabiliter les châtiments corporels et
l’humiliation publique, seuls moyens de lutte efficace contre cette infection
sociale.
Bref, je brûle de le voir expier sur la place de la foire, fouetté comme il
le mérite et exposé aux moqueries tel un quasimodo au rabais, et ce afin
de remettre de gré ou de force cette abjection dans le chemin des élus à face humaine.
VOIR LA VIDEO :