Vivre seul dans un confort rudimentaire, au coeur de la sylve, au plus près des éléments, c'est s'effacer volontairement du siècle, rompre radicalement avec la vacuité des hommes et la frénésie des cités, quitter la surface du monde pour entrer dans la profondeur des choses.
Mais non pas à la manière grotesque et puérile des hippies attardés et autres crasseux hirsutes en mal d'exotisme rural...
Ces touristes de la "cause verte" sont les caricatures et victimes tout à la fois des modes écologiques prémâchées, les pures scories d'une civilisation déboussolée productrice d'illusions. Nos sociétés polluées proposent à ces authentiques naïfs des packagings d'oxygène et de chlorophylle, en sorte de consolation. En réalité ces idéalistes aux pensées lisses et aux sensibilités édulcorées font partie intégrante du système qu'ils rejettent. Ils n'en sont que les pions, sous forme de contrepoids.
Balayer les fumées intellectuelles pour rejoindre la terre tangible des réalités crotteuses, voilà une toute affaire ! S'enterrer au fond des bois, cela signifie tout briser, tout oublier, tout recommencer. Là où je suis, ce n'est nullement là où ils rêvent d'aller.
Je doute que ces pigeons envient ma place de corbeau...
Se retrouver les pieds dans l'humus, sous un toit rustique sans eau courante ni électricité, avec le feu de cheminée en guise d'écran, le chant des oiseaux pour unique connexion, c'est véritablement se réapproprier sa vie pour la replacer à échelle humaine, à hauteur de vue, à portée de main.
Ici dans ce trou où je vis, tout devient étroit et intime. J'ai le temps de voir chaque grain, chaque germe, chaque ombre et chaque clarté que m'offre la Création. Et une minute pour moi dans cette solitude hors du rythme de la modernité dure autant qu'un voyage dans les nuages ou qu'un songe sous les étoiles.
Certes je ne suis pas totalement reclus, les nécessités alimentaires m'obligeant à sortir de ma tanière. Mais là où je vais quérir mon pain, quelques fromages, des oeufs, ce sont des îlots préservés des vogues citadines. Des coins perdus de la pleine cambrousse ayant échappé à la dictature administrative, ce monstre d'inhumanité qui cherche à standardiser les fruits et les saveurs.
Il me faut une heure de marche pour me rendre dans ces fermes illégales qui fleurent bon la bouse de vache et où le lait des bêtes est extrait "à l'ancienne", sans préoccupation de ces inutiles normes hygiéniques imposées par de prudents bureaucrates aux âmes sèches.
Tout y est meilleur.
Le beurre, bien jaune, s'oppose savoureusement et sans jamais pâlir aux lois de rationalisation de sa texture. La céréale, vierge de tout pesticide, résiste vertueusement au viol de ses sillons, tenant trop à leur pureté. Les récoltes non calibrées, en permanente infraction, défient les imbéciles calculs des décideurs.
Les hôtes de ces lieux me reconnaissent comme un des leurs à la gloire logée dans mes sabots et à mon bonheur puisé dans la simplicité. Ils m'accueillent dans ces centres de l'intelligence agreste comme si j'étais le roi des mendiant.
Pour me combler non de superflu mais d'essentiel. Juste ce qu'il me faut et rien de plus.
Et je repars dans ma masure aussi pauvre qu'avant, la besace pleine de vraies nourritures.
Non celles qui m'alourdissent mais celles qui m'allègent.