Le plus fort, c'est le barreau.
Lui le fer, moi la chair. Lui l'endurci, moi l'emmuré. Lui l'éprouvé, moi
l'écroué.
Mon mental est mortel, son métal est d'acier.
Ils sont six à monter la garde dans ma geôle, pour être précis.
Ils incarnent la loi, je représente la lie. Il font toujours le poids,
alors que je perds facilement pied. Je sais que je peux compter sur leur
rectitude : que je m'enflamme ou que vacille, que je flanche ou que je fasse le
coq, de leur côté ils demeurent invariablement rigides.
Leur dureté agit dans la durée : plus solides que mes propres os auxquels
ils survivront pendant des siècles, ils se tiennent droit devant moi, froids et
sévères, dans le but de me redresser. Ils renferment en réalité toutes les
vertus du monde.
Ils ont tous les droits tandis que j'ai tous les torts.
Bien alignés, ils règnent sur ma vie dans la lenteur des jours comme dans
la longueur du chemin : ils ont tout le temps avec eux pour me faire plier
à leur volonté. Il ne me reste que l'opportunité de céder à leurs vues
extrêmement étriquées mais infiniment justes.
Fidèles à eux-mêmes, ils ne bougent pas d'un cil de leur position.
Et ne souffrent pas qu'en tant que captif je remette en cause leur autorité
inscrite dans le marbre, que je conteste les règles strictes et figées de leur
nature immuable, que je tente de violer l'intégrité de leur corps cimenté dans
le mur de ma cellule !
Et cela non pour ma perte mais pour mon salut. Ils me soumettent à leur
impitoyable discipline non pas me briser gratuitement mais pour me sauver.
Leur matière incorruptible consiste en un fracassant alliage entre la lame
rédemptrice de l'épée et la massue de la possibilité du pardon.
Le rêve ultime de tout taulard en mal de légèreté.
C’est aussi la lumière inespérée que j’attends lorsque je regarde la
cour du pénitencier à travers ma fenêtre, le visage rayé par leur ombre.
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